Les magistrats tchadiens ont manifesté, lundi, leur mécontentement face aux pressions politiques exercées par la France dans l’affaire Arche de Zoé. Depuis la libération vendredi des trois membres de l’équipage espagnol qui devaient amener 103 enfants vers la France avec la complicité de l’association et d’un pilote belge, rien ne va plus pour la justice tchadienne. L’arrivée, dimanche, de la commission d’enquête du gouvernement français qui va examiner les agissements de l’Arche de Zoé ne fait que renforcer la mise à l’écart des magistrats tchadiens dans cette affaire.
Pour Jacques Wilmart, le pilote belge accusé d’avoir transporté une partie des enfants de la frontière tchado-soudanaise à Abéché (est du Tchad) et évacué samedi vers Belgique, il ne fait aucun doute que, dans l’affaire Arche de Zoé, « tout le monde était au courant », a-t-il déclaré lundi à RFI. Cette déclaration vient relancer le débat autour de la responsabilité de la France dans cette pseudo opération militaire. La France dont on comprend mal qu’elle intervienne dans un pays où la justice fonctionne.
L’annonce faite dimanche à l’AFP, par la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux droits de l’homme, Rama Yade, concernant l’arrivée cette semaine des magistrats français à N’Djamena pour coordonner les actions judiciaires en France et au Tchad et assurer une « protection maximale » aux ressortissants français, a discrédité la justice tchadienne qui ne supporte plus l’ingérence de la France dans cette affaire
Par ailleurs, une commission d’enquête du gouvernement français constituée par le Premier ministre François Fillon et menée conjointement par l’Inspection générale des Affaires étrangères et le commandement de l’inspection des forces en opération est arrivée dimanche soir à N’Djamena, la capitale tchadienne. Selon l’AFP, cette commission doit faire le point sur l’ « identité et les agissements » de l’association française, l’Arche de Zoé, durant les semaines qui ont précédé l’opération qui visait à acheminer 103 enfants vers la France.
Cette enquête devra s’attaquer à certains points d’ombre. A savoir : pourquoi la France a t-elle aidé logistiquement Children Rescue, une association humanitaire inconnue ? Children Rescue, nom d’emprunt utilisé par l’Arche de Zoé au Tchad, association humanitaire de sapeurs-pompiers fictive censée travailler dans le pays pour une période de deux ans, a bénéficié par trois fois du soutien de l’ambassade de France et de l’armée française en août et en septembre.
Les pressions politiques auront-elles raisons de la justice tchadienne ?
Cette commission d’enquête mandatée par le gouvernement français a le goût d’un nouvel affront pour le Syndicat des magistrats du Tchad (SMT). En réaction, ce dernier a décidé d’observer une journée de deuil, lundi, pour exprimer sa colère envers l’attitude de la France. « Lundi, nous viendrons en robe noire manifester notre mécontentement devant le palais de justice » a déclaré Abdoulaye Cheikh, président de ce syndicat.
Cette manifestation fait suite à la libération, le 9 novembre, des membres de l’avion espagnol qui devaient acheminer les 103 enfants présentés comme des orphelins du Darfour et du pilote belge, Jacques Wilmart. La justice tchadienne aurait subi des pressions dans cette affaire. Concernant la libération du pilote belge, le président du SMT a déclaré vendredi, selon l’AFP, que « le juge d’instruction, le procureur et les substituts avaient été harcelés au point que le premier substitut avait craqué ».
Si l’on se fie aux dires d’Abdoulaye Cheikh, il est à craindre que dans cette affaire un bon nombre d’inculpés soit relaxé. Espérons que la justice tchadienne chargée de mener une enquête sur la compagnie aérienne espagnole Girjet qui devait acheminer les enfants vers la France et sur les sept membres d’équipage relaxés mais toujours inculpés, n’ait pas à subir, si les affirmations du président du Syndicat des magistrats du Tchad s’avèrent vraies, de nouvelles pressions politiques.
La justice tchadienne doit étudier la remise en liberté de trois des quatre Tchadiens incarcérés en compagnie des six membres français de l’association. Selon l’AFP, Maître Padaré, qui a fait vendredi cette demande pour ses trois clients, estime « qu’il n’y a pas de raison qu’on ne les libère pas » jugeant que si tel était le cas « ce serait une politique de deux poids, deux mesures ». L’avocat tchadien a tout intérêt lui aussi à tirer son épingle du jeu. Il profite de la libération des onze inculpés : trois journalistes français, les sept membres de l’équipage espagnol et du pilote pour faire valoir la libération de ces clients.
De leur côté, les avocats des six membres de l’association de l’Arche de Zoé actuellement poursuivis pour « enlèvement de mineurs en vue de compromettre leur état civil » et « escroquerie », crimes passibles de cinq à vingt ans de travaux forcés au Tchad, profitent de ce « vent de liberté ». Ils demandent une inculpation d’« enlèvement et détournement de mineurs de moins de quinze ans sans fraude ni violence », un délit passible de deux à cinq ans de prison.
Sarkozy en ligne de mire
La « journée de deuil » organisée par le Syndicat des magistrats du Tchad qui s’est déroulée lundi vise à dénoncer les pressions politiques de même que l’attitude du chef d’Etat français. Nicolas Sarkozy s’est empressé de se rendre le 4 novembre à N’Djamena pour récupérer les trois journalistes français et les quatre hôtesses de l’air espagnoles, tout juste libérés au terme d’une procédure express, un dimanche, jour où le tribunal est normalement fermé.
« Les lois du Tchad s’appliquent aux Tchadiens et aux étrangers. Qu’est-ce qui signifie que le chef de l’Etat français se précipite tout de suite ? » au Tchad, s’est interrogé M. Cheikh devant l’AFP. Cette affaire était « banale, qui ne devait pas justifier le déplacement d’un chef d’Etat français… A moins qu’il ne se sente concerné parce qu’elle est passée d’abord par le ministère (français) des Affaires étrangères. Il est vrai que Nicolas Sarkozy avait surpris en se rendant seul au Tchad sans Rama Yade pourtant chargée du dossier.
Vendredi, M. Cheik déclarait que les accusés devaient être « jugés au Tchad ! ». Revendication légitime surtout lorsqu’on essaie de renverser la situation : si des Tchadiens étaient arrêtés en France dans une affaire similaire à l’Arche de Zoé auraient-ils été jugés dans leur pays ?