AES : une dépendance économique à l’UEMOA difficile à briser


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Alors que le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont officiellement quitté la CEDEAO, l’Alliance des États du Sahel (AES) peine à s’émanciper économiquement. Malgré des ambitions affichées d’indépendance, ces pays restent fortement dépendants des mécanismes de l’UEMOA, tant pour leurs échanges commerciaux que pour leurs besoins de financement. Entre tensions régionales, difficultés d’accès aux marchés financiers et incertitudes autour de leur projet de banque régionale, l’AES se heurte à de multiples obstacles. Face à un isolement croissant et au désengagement progressif de ses alliés internationaux, la question se pose : l’AES peut-elle réellement survivre en dehors des structures économiques ouest-africaines ?

Le 29 janvier 2025, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont officiellement quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), concrétisant une décision annoncée un an plus tôt. Cette rupture marque une étape significative dans la redéfinition des alliances régionales en Afrique de l’Ouest. Cependant, elle pose la question de la viabilité économique de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui reste largement dépendante des structures régionales existantes, notamment l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).

Un poids économique limité face aux géants de l’UEMOA

Selon les dernières estimations du Fonds monétaire international (FMI) pour 2024, le Burkina Faso enregistre un PIB de  21,9 milliards de dollars. Le Mali lui a un PIB de 21,66 milliards de dollars, tandis que le Niger tourne autour de  18,81 milliards de dollars. Ensemble, ces trois pays totalisent un PIB cumulé de 62,37 milliards de dollars. En comparaison, la Côte d’Ivoire seule  enregistre un PIB projeté à 86,91 milliards de dollars en 2024. Ces chiffres illustrent la position fragile de l’AES face aux économies les plus dynamiques de l’UEMOA.

Une dépendance commerciale difficile à contourner

Malgré ses ambitions de rupture avec les institutions ouest-africaines, l’AES reste fortement intégrée aux échanges intra-UEMOA. En 2023, le commerce intra-UEMOA représentait 16% des échanges commerciaux des pays membres. Le Niger, par exemple, exporte une part importante de sa production agricole et de son bétail vers les pays côtiers comme la Côte d’Ivoire et le Bénin. De même, le Burkina Faso et le Mali continuent de dépendre des ports d’Abidjan, de Lomé et de Cotonou pour leurs importations et exportations. Cette interdépendance montre que l’AES ne peut pas, du jour au lendemain, s’affranchir totalement du cadre économique sous-régional.

Les États de l’AES sont également fortement dépendants du marché financier régional pour leurs besoins de financement. En 2024, les trois pays de l’AES ont levé 1 866 milliards de FCFA sur le marché financier régional, soit 34 % des emprunts effectués au sein de l’Union. Or, avec les tensions politiques et leur sortie de la CEDEAO, ces pays empruntent désormais à des taux nettement plus élevés que leurs voisins, ce qui alourdit leur dette publique et fragilise leurs finances. Le manque de confiance des investisseurs et l’incertitude politique rendent ces emprunts plus coûteux, réduisant ainsi leur capacité à financer des projets de développement.

Par ailleurs, les tensions entre l’AES et certains pays voisins, notamment le Bénin, ne font qu’exacerber ces défis. Depuis la fermeture des frontières décidée par l’AES en réponse aux sanctions de la CEDEAO, le commerce entre le Niger et le Bénin a chuté de plus de 60%, affectant les chaînes d’approvisionnement et les revenus des acteurs économiques des deux côtés. Les autorités du Bénin ont multiplié les appels au dialogue, mais les dirigeants de l’AES semblent privilégier une posture de confrontation, refusant de saisir les opportunités de négociation qui pourraient pourtant alléger leurs difficultés économiques.

Une banque régionale AES : un projet ambitieux mais incertain

Dans leur quête d’indépendance, les autorités de l’AES ont annoncé la création d’une banque régionale destinée à financer les économies des trois pays et à remplacer leur dépendance vis-à-vis des institutions financières ouest-africaines. Cependant, ce projet se heurte à plusieurs obstacles majeurs. D’abord, le manque de réserves financières solides pour garantir la stabilité de cette nouvelle banque pose problème. Ensuite, la méfiance des investisseurs et la difficulté d’obtenir des financements extérieurs ralentissent sa mise en place. De plus, la transition vers une nouvelle institution bancaire régionale nécessite des infrastructures financières et une gouvernance robuste, ce qui prend du temps à instaurer. Sans un cadre réglementaire clair et une adhésion des principaux acteurs économiques, cette initiative risque d’être un échec avant même d’avoir démarré.

Des soutiens extérieurs fragiles

L’AES mise sur des alliances avec des puissances comme la Russie et la Chine pour aller au bout de ce projet. Cependant, ces partenaires ne sont pas nécessairement en position d’apporter un soutien massif. En effet, ces deux pays traversent des difficultés économiques qui limitent leur capacité à soutenir une telle entreprise. La Chine, confrontée à une crise immobilière massive et un ralentissement de sa croissance avec un taux de 3,9 % en 2023 contre 8,1 % en 2021, a réduit ses investissements en Afrique. Selon un économiste de la Banque africaine de développement qui se confiait au Financial Times, « la Chine adopte une approche plus prudente et privilégie désormais des projets stratégiques plutôt que des financements à grande échelle ». De son côté, la Russie, engagée dans la guerre en Ukraine et frappée par des sanctions occidentales ayant fait chuter son PIB de 2,1 % en 2023, concentre ses ressources sur son effort militaire. Si elle a apporté un soutien politique et militaire à l’AES, son appui financier reste très limité.

En somme, alors que l’AES affiche une volonté d’émancipation, les réalités économiques démontrent qu’une sortie brutale de l’UEMOA et une confrontation prolongée avec ses voisins risquent d’affaiblir encore davantage ses membres. Une approche pragmatique, privilégiant le dialogue et la coopération économique, semble être la seule issue viable pour éviter un isolement coûteux et une instabilité accrue.

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