Six salariés de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, en région parisienne, accusent la préfecture de Seine Saint-Denis de leur avoir retiré leur badge d’accès à des zones sensibles en raison de leur confession musulmane. La préfecture dément mais le tribunal de Bobigny a accepté jeudi, dans un temps record, d’ouvrir une enquête préliminaire.
Priez-vous ? Fréquentez-vous régulièrement la même mosquée ? Connaissez un prêcheur extrémiste ? Avez-vous effectué le pèlerinage à la Mecque ?… C’est sur la base de telles questions que la préfecture de Seine Saint-Denis aurait retiré leur badge d’accès à des zones sensibles de l’aéroport de Roissy, depuis le début de l’année, à des dizaines de salariés de confession musulmane. Jeudi, quatre d’entre eux ont déposé un référé en suspension de cette décision, devant le Tribunal administratif de Pontoise, afin de pouvoir éventuellement reprendre leur travail. Ils ont également porté plainte contre X pour « discrimination », avec la CFDT (Confédération française démocratique du travail , syndicat), devant le tribunal de Bobigny, qui a décidé dès jeudi soir d’ouvrir une enquête préliminaire. Pour justifier les retraits d’habilitation, la préfecture pointe « un danger significatif » que ces employés feraient peser sur « la sûreté aéroportuaire ». Mais elle n’indique pas sur quels éléments sa décision s’appuie. Pour les employés, seule leur religion, l’islam, permet de l’expliquer.
Jacques Lebrot, le sous-préfet chargé de la zone aéroportuaire de Roissy, dont dépend le renouvellement des badges, confirme les retraits incriminés. Mais vendredi, dans le journal Le Monde, il a assuré que sa décision était indépendante de la confession des employés. Et que celle-ci a été prise à l’issue d’une enquête de l’Unité centrale de lutte antiterroriste (Uclat), selon laquelle plusieurs personnes présentaient un risque « de vulnérabilité ou de dangerosité » pour la zone. « Pour nous, quelqu’un qui va passer des vacances plusieurs fois au Pakistan, cela nous pose des questions », explique-t-il. Jacques Lebrot ajoute que plusieurs bagagistes ont séjourné dans « des camps d’entraînement », sans toutefois indiquer si des poursuites ont été engagées contre eux. Le secrétariat du sous-préfet n’a pas souhaité vendredi apporter plus de précisions à Afrik sur cette information. Quant à Maître Eric Boutet, l’un des avocats des plaignants, au nombre de six depuis vendredi, il « attend des preuves de la préfecture, des éléments sur lesquelles s’appuyer, un os à ronger… »
« Aucun motif objectif »
En avril dernier, Karim, l’un des plaignants, reçoit une lettre type de la préfecture lui indiquant que selon ses informations, il aurait « une attitude pouvant mettre en cause la sûreté de l’état ». Invité à faire des observations écrites ou orales, il prend rendez-vous auprès de la préfecture. « Nous vous écoutons Monsieur », lui lance l’une des trois personnes présentes. Devant l’incompréhension de Karim, qui ignore ce qui lui est reproché, l’interrogateur, gêné, précise : « Nous allons parler de religion ». Celui-ci explique qu’il est un musulman pieux, qu’il a fait son pèlerinage, qu’il a voyagé à Dubaï, « un pays très touristique », qu’il porte une barbe à l’image du prophète Mohamed, mais qu’il récuse la lecture salafiste orthodoxe et violente du coran.
Une semaine plus tard, un courrier de la préfecture lui notifie le retrait de son badge. Karim « n’a pas été de nature à apporter la preuve d’un comportement insusceptible de porter atteinte à la sûreté aéroportuaire, eu égard aux informations détenues par l’administration ». Une réponse qui fait tousser Me Eric Boutet : « C’est un renversement de la charge de la preuve, explique-t-il. Le préfet prend une décision qui engage les personnes sur leur lieu de travail, qu’elles risquent de perdre, sans donner aucun motif objectif. Au contraire, il leur demande d’apporter la preuve qu’ils ne sont pas susceptibles de représenter un danger, ce que personne ne peut faire ».
Retrait pour cause de prière
Samy Debah, du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), explique avoir eu accès à certains éléments sur lesquels les autorités se sont appuyées pour juger des dossiers. Il a commencé à recueillir les témoignages de musulmans dont le badge a été retiré, depuis avril dernier, date à laquelle le livre de Philippe de Villiers intitulé « Les mosquées de Roissy » est parut, fait-il remarquer. Moins d’une dizaine de personnes s’étaient alors signalées. Mais en août, une seconde vague de retrait et de non renouvellement d’habilitations plus importante a eu lieu. « Lorsque j’ai accompagné l’un des plaignants au tribunal administratif de Pontoise, j’ai appris que son habilitation lui avait été retirée parce qu’il s’était convertit à l’islam, explique-t-il. Celle d’un autre l’a été parce qu’il faisait la prière, un autre encore parce que son oncle, sur lequel pesaient des soupçons d’appartenance à un groupe extrémiste, avait été expulsé ».
La sécurité dans les zones sensibles des aéroports a été renforcée depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York. « Depuis lors, sur décision du ministre de l’Intérieur, chaque salarié doit faire l’objet d’une enquête systématique sur son passé judiciaire. De nouveaux badges de couleurs différentes sont décernés suivant différents degrés d’autorisation d’accès », explique la CFDT Seine Saint-Denis. « Le préfet prenait auparavant ses décisions selon des conditions strictes, ajoute Me Moutet. Mais depuis la Loi Sarkozy de 2003 sur la sécurité intérieure, qui donne un cadre légal à la pratique, il suffit d’être défavorablement connu des forces de police pour ne pas avoir son badge renouvelé. »
Comme nombre de ses collègues, Karim a pris des vacances forcées après que son badge lui a été retiré. Mais depuis septembre, assure-t-il, il est en congé sans solde et refuse de démissionner de sa société.
Crédit photo : JDM / Cécile Debise 2006