Sa voix traînante d’ivrogne qui ne mâche pas ses mots l’a rendu célèbre en Côte d’Ivoire et dans de nombreux pays africains. Sous les traits d’Adama Dahico, Adama Dolo à l’Etat civil, est un pionnier et une figure incontournable aujourd’hui dans le paysage humoristique ivoirien. Il a voulu et su démontrer que l’on pouvait faire rire sérieusement. Rencontre, à Abidjan, avec un artiste engagé et haut en couleurs.
« Eh Jah. ! Ma vieille ! ». Pour ceux qui le connaissent, vous avez certainement reconnu le cri de ralliement de l’humoriste ivoirien Adama Dahico. En quelques années, cet autodidacte, qui s’est imposé sur la scène ivoirienne et internationale et prouvé que l’humour et le sérieux ne sont pas antinomiques, fait l’unanimité. Un Top d’or (trophée qui récompense les meilleurs du Showbiz ivoirien) du Meilleur humoriste, sa nomination comme Chevalier de l’Ordre du Mérite national et l’énorme succès de son premier ouvrage, intitulé « Ne riez pas ! », en ont récemment donné la preuve, si besoin en était. Sur les scènes et médias ivoiriens, africains et d’ailleurs, Adama Dolo, alias Adama Dahico, ne cesse de nous faire rire, sous les traits d’un ivrogne, tout en nous interpellant sur les travers de notre société africaine. Adama Dahico est né en 1968. Il est marié et père de quatre enfants.
Afrik.com : À quoi renvoie Dahico, le personnage que vous incarnez ?
Adama Dahico : Dahico, en argot ivoirien, désigne une personne toujours ivre ou sous l’effet de la drogue. DAHICO est aussi un sigle qui renvoie à Dolo Adama (son véritable nom) Humoriste International et Communicateur Ouvert. C’est un concept que j’ai crée depuis 1997.
Afrik.com : Pourquoi avoir choisi de vous exprimer sous les traits d’un personnage ivre ?
Adama Dahico : C’est une expression artistique qui me plaît, un moyen de communiquer avec le public, de conscientiser sans blesser la sensibilité des gens. Un ivrogne vous dit certaines vérités que vous mettez sur le coup de son ivresse. Ça permet de faire passer des choses difficiles avec un brin d’humour. Dieu merci ! Je n’ai jusqu’ici pas eu de problème avec le grand public, mais les partisans des partis politiques lorsqu’ils sont concernés réagissent souvent.
Afrik.com : Que pensent les ivrognes de vous ?
Adama Dahico : Une fois l’un d’eux m’a menacé. Il m’accusait de les inciter à se saoûler alors que moi-même je ne bois pas. Dans tous les cas, il faut boire avec modération.
Afrik.com : Comment êtes vous arrivé à l’humour ?
Adama Dahico : Depuis l’école primaire, j’aimais raconter des histoires. J’étais très timide et c’était une façon d’attirer la sympathie des uns et des autres. Ça a continué au collège, surtout parce que j’avais beaucoup d’amies filles qui souhaitaient que je les fasse rire avec des histoires. Et il fallait le faire de plus en plus avec sérieux parce que j’étais devenu l’humoriste de la classe et pour cela je me documentais. Et puis je me suis rendue compte que je pouvais monnayer mes prestations contre des galettes, du bissap (jus réalisé à partir de feuilles d’oseille séchées, ndlr) … Je me suis très tôt rendu compte que je pouvais vivre de ça (sourire). Au lieu de rentrer en première, classe à laquelle j’étais admis, j’ai décidé de rentrer à l’Ina (Institut national des arts qui est devenue l’Insaac, ndlr) dont les portes m’ont été fermées. Je dis Dieu merci parce que ça m’aurait transformé au lieu de me former. J’ai par conséquent appris sur le tas en rejoignant une troupe qui s’appelait « Les experts d’Abidjan ». Puis avec des amis comédiens, j’ai formé « Les rigolos d’Abobo ». J’ai également suivi des ateliers de formation notamment avec Sidiki Bakaba. Le déclic s’est fait avec Tonton Bouba (célèbre animateur ivoirien, ndlr), qui avec son émission (diffusée sur la radio nationale ivoirienne), « Allocodrome », m’a révélé au grand public.
Afrik.com : Vous êtes un pionnier dans la mesure ou vous avez d’une certaine manière « professionnaliser » le métier d’humoriste en Côte d’Ivoire ….
Adama Dahico : J’avais le choix entre la « belle vie » et me mettre au travail…Tout le monde peut raconter des histoires mais on attend plus d’un humoriste qui est lui un professionnel. L’humour est un art d’amusement, mais on ne peut pas s’amuser dans l’amusement. Je peux plaisanter mais je ne suis pas un plaisantin. Un artiste est un soldat et la vie est un combat. Je me bats pour soigner l’image des humoristes africains. Aucun des mes parents ne voulait que j’en fasse un métier. Pour moi, il s’agit de toujours mieux faire.
Afrik.com : Est-ce que le fait que vous utilisiez des termes nouchi (argot ivoirien) n’est pas un frein à votre carrière internationale ?
Adama Dahico : Nous adaptons notre spectacle afin que chacun puisse le comprendre. Si nous sommes au Burkina Faso, nous parlerons par exemple de l’équivalent de la Rue Princesse (rue très animée de la capitale ivoirienne, ndlr) dans le pays si il en est question dans notre spectacle. Nous essayons également de définir pendant les représentations les termes que nous utilisons. Je suis un humoriste africain et je raconte beaucoup d’histoires qui reflètent notre réalité. Nous sommes, je crois les mieux habilités à le faire. J’ai eu la chance de me produire à Paris et j’ai constaté que les Européens nous prêtent attention parce que nous sommes le reflet de l’Afrique en mouvement. L’humour africain peut compétir à un haut niveau.
Afrik.com : Vous avez un style particulier. Les jeunes comédiens ne tentent-ils pas de vous imiter ?
Adama Dahico : Quand ils me disent : « Nous on veut te ressembler », je leur réponds : vous serez de très mauvais comédiens mais j’ajoute : « Vous pouvez me prendre comme modèle ». J’ai fait comprendre et fait savoir en Côte d’Ivoire et en Afrique qu’il suffit de faire l’humour avec sérieux pour en vivre. C’est un métier comme tout autre. En initiant la Fête du rire qui aura lieu cette année les 17, 18 et 19 septembre prochains au Palais de la culture, j’ai montré qu’on pouvait présenter des spectacles humoristiques dans de grandes salles culturelles. Depuis d’autres ont suivi. Par ailleurs, ça n’a pas été facile d’imposer le « One man show ». Quand vous réclamez par exemple un cachet de 200 000 F CFA (environ 300 euros) pour une prestation, les gens vous rétorquent : « il est tout seul et il demande autant ». C’est un travail de fond.
Afrik.com : Chanteur, écrivain, humoriste…Vous êtes un artiste aux multiples facettes qui pour son troisième album s’est offert les services de l’incontournable Boncana Maïga ….
Adama Dahico : Je ne suis pas vraiment un chanteur mais la musique fait partie de notre métier de comédien. La musique accompagne mes textes. Je me suis entouré des meilleurs car dans toute chose, il faut être professionnel.
Afrik.com : Vous êtes un artiste engagé. Acceptez-vous le qualificatif d’humoriste politique ?
Adama Dahico : Absolument. Cet humour s’adresse à une certaine catégorie de personnes, tout le monde ne peut pas en faire et ce n’est pas tous les Présidents qui le permettent. Parfois, on me demande si je suis allé à l’université parce que mon humour n’est pas toujours à la portée de tous. Mon humour s’adresse à un large public et à un autre plus restreint parce que c’est un exercice de style, qui pour être compris, demande parfois un minimum de culture.
Afrik.com : Vous êtes candidat aux présidentielles de 2005 avec votre parti politique, le Doromikan. C’est une grosse blague…
Adama Dahico : Depuis 1999, j’avais dit que je serai candidat. Doromikan signifie en malinké (plus communément appelé dioula en Côte d’Ivoire, ndlr) l’art de la parole d’ivrogne. C’est un façon de dire aux politiques que c’est parce qu’ils prennent la politique trop au sérieux qu’on a tous ces problèmes. Moi j’ai décidé de penser au peuple. Tout le monde est inquiet. On se demande quand est-ce que qu’on verra le bout du tunnel. Je pense que le rire est un médicament très efficace contre les soucis. Nous avons les moyens de notre politique parce que nous sommes les amis de tout le monde. Notre parti compte plus de membres qu’aucun autre (sourire).
Afrik.com : Alors Président, quel est votre programme ?
Adama Dahico : Pour le programme, il faut être prudent. Le programme de mon ami Laurent Gbagbo était très alléchant (sourire). Cependant, il sera beaucoup question de mon parti le Doromikan dans mon prochain ouvrage dont le titre est « Le pouvoir par le rire ».
Afrik.com : Si votre fille (aînée) choisissait de marcher sur vos traces, qu’est-ce que vous feriez ?
Adama Dahico : Si elle en a les compétences, je l’aiderais de mon mieux.
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