Dans son discours d’investiture, lundi à Kigali, le président rwandais Paul Kagame a dénoncé « les mensonges » proférés à l’égard de son pays sans pour autant désigner clairement les responsables. L’allusion ne fait pourtant pas de doute. Dans le collimateur du chef d’Etat, le rapport de l’ONU, dont la publication a été repoussée au 1er octobre, accusant l’armée rwandaise de crimes de guerre contre des civils rwandais hutus réfugiés en République Démocratique du Congo (RDC) entre 1996 et 1998.
« Nous dénonçons avec la dernière énergie tous les mensonges dont ils nous accusent », a déclaré lundi à Kigali le président Paul Kagame à l’occasion de son discours d’investiture. Derrière ce « ils », pas de doute. Le chef d’Etat rwandais, qui entame son deuxième septennat, vise l’ONU et en particulier un rapport qu’il juge « outrancier ». Dans les quelques 600 pages de ce document, les massacres, viols et pillages commis par des militaires de plusieurs pays et notamment du Rwanda dans l’ex-Zaïre sont détaillés. Le quotidien français Le Monde a publié le 26 août des extraits d’une version provisoire de ce rapport, dévoilant les accusations de crimes de guerre qui pèsent sur l’Etat rwandais à l’encontre de civils hutus réfugiés en RDC. L’Armée patriotique rwandaise (APR) et son alliée, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) conduite par Laurent-Désiré Kabila, se seraient rendues coupables du meurtre de réfugiés hutus parmi lesquels des ex-militaires impliqués en 1994 dans le génocide des Tutsis. La fuite de ce pré-rapport a eu l’effet d’une bombe d’autant plus que ses auteurs utilisent le terme « génocide » qui pourrait bien être appliqué aux crimes de l’armée rwandaise. Un mot jusqu’alors réservé aux Tutsis.
L’ONU négationniste?
Le rapport recense les exemples de massacres qui se sont multipliés en 1996 et en majorité dirigés contre des réfugiés hutus. Dans le village du Luberezi, 200 hommes ont été tués après avoir été rassemblés sous prétexte d’être rapatriés au Rwanda ; à Bwegera, 72 réfugiés rwandais ont été brûlés vifs; à Tebero, 760 personnes ont été abattues. Le rapport mettrait en évidence que les victimes du génocide de 1994 auraient appliqué des méthodes génocidaires semblables à celles dont ils furent les victimes. Le document fait état de « la nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques contre les Hutus (qui) se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l’AFDL/APR, sur une très vaste étendue du territoire. » Kigali éructe et crie au « négationnisme ». Un argument dont Paul Kagame use régulièrement.
Victoire Ingabire, à la tête des Forces démocratiques unifiées (FDU), parti d’opposition qui n’a pas reçu d’agrément officiel, s’est vue accusée le 21 avril d’idéologie de génocide, de divisionnisme et de négationnisme pour avoir demandé à ce que les soldats du FPR, coupables de crimes de guerre contre les citoyens hutus soient traduits en justice. « Les Hutus qui ont tué les Tutsis doivent comprendre qu’ils doivent être punis. Il en va de même des Tutsis qui ont tué les Hutus. », a-t-elle déclaré en janvier devant le Mémorial du génocide des Tutsis, situé sur la colline de Gisozi à Kigali. Depuis 2008, une loi punit de dix à vingt-cinq ans de prison « l’idéologie du génocide », un texte « rédigé en termes vagues et ambigus (…) qui muselle de manière abusive la liberté d’expression », selon Amnesty International.
Un rapport reporté
Face à la fuite de son rapport dans les médias, l’ONU se retrouve dans une situation délicate et joue la montre. Navanethem Pillay, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, a annoncé le report de la publication du rapport controversé initialement prévue début septembre. La date est néanmoins fixée au 1er octobre. Un délai officiellement justifié dans un communiqué : « A la suite de demandes, nous avons décidé de donner aux Etats concernés un mois supplémentaires pour faire des commentaires sur le projet (du rapport) », a expliqué la Haut commissaire aux droits de l’homme. Des commentaires qui seraient ajoutés au document.
Mais Kigali voit rouge. Le porte-parole de l’armée rwandaise a annoncé mardi dernier qu’un « plan urgent de retrait » des 3 550 soldats de la paix engagés au Soudan au cœur des missions de l’ONU serait mis à exécution si « son rapport outrancier et préjudiciable » était publié. Une position que jeudi le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a invité le gouvernement rwandais à revoir pour éviter de bouleverser l’équilibre instable de cette région. S’engage à présent un bras de fer entre l’ONU et Kigali.