Accord franco-algérien de 1968 : Villepin recadre Retailleau et Darmanin


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Dominique de Villepin
Dominique de Villepin

L’ancien Premier ministre Dominique de Villepin s’oppose frontalement à Bruno Retailleau et Gérald Darmanin sur la remise en cause de l’accord historique de 1968 avec l’Algérie. Sur fond de tensions diplomatiques croissantes liées à l’expulsion d’influenceurs et au dossier du Sahara occidental, ce clash révèle les profondes divisions au sein de la classe politique française sur la gestion des relations avec Alger.

Les relations franco-algériennes traversent une nouvelle zone de turbulences autour de l’accord bilatéral de 1968, texte fondateur qui régit depuis plus d’un demi-siècle le statut des ressortissants algériens en France. Cet accord, signé cinq ans après l’indépendance, accorde aux Algériens un régime dérogatoire au droit commun des étrangers : accès facilité aux titres de séjour de 10 ans, conditions privilégiées pour le regroupement familial, et facilités d’entrée pour les détenteurs de passeports diplomatiques. En contrepartie, il impose aussi des restrictions spécifiques, notamment pour les étudiants algériens en matière de travail et de mobilité.

Deux visions irréconciliables

Le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a mis le feu aux poudres sur BFMTV en réclamant une remise en cause totale de cet accord, qu’il juge obsolète. Pour l’ancien président du groupe Les Républicains au Sénat, ce texte aurait contribué à « déformer l’immigration algérienne« . Il pointe notamment du doigt le récent refus des autorités algériennes d’accueillir des influenceurs expulsés de France, une décision qu’il qualifie d' »humiliation« .

Gérald Darmanin, désormais ministre de la Justice, s’aligne sur cette position en plaidant pour une révision radicale des accords. « Il y a un accord de 2013 qui permet à ceux qui ont un passeport officiel algérien de venir en France sans visa. Cela concerne des milliers de personnes« , a-t-il déclaré, appelant à supprimer cette facilité.

Face à cette approche, Dominique de Villepin monte au créneau. L’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères dénonce dans un entretien à Mediapart une surenchère « simpliste et contre-productive« . « Peut-on réduire 60 ans d’histoire commune à une formule lapidaire sur Twitter ? » s’indigne-t-il. Pour lui, dénoncer l’accord de 1968 reviendrait à « donner un coup à l’Algérie » sans apporter de solutions viables.

Villepin, qui s’est rendu célèbre dans le monde en 2003 par son plaidoyer contre l’intervention américaine en Irak devant le Conseil de sécurité de l’ONU, estime que la diplomatie française souffre aujourd’hui d’un manque de profondeur. Il appelle à renouer avec une vision « respectueuse et exigeante » des relations internationales, fondée sur l’altérité et le respect du droit international.

La position du Quai d’Orsay évolue

Désormais sur la même ligne, Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, prône une approche d’apaisement. Sur RTL, il a refusé d’utiliser le mot « crise » pour qualifier les relations actuelles, préférant évoquer des « difficultés ». « Le niveau de tension n’est pas à la hauteur de l’amitié et des liens qui doivent être ceux qui rassemblent la France et l’Algérie », a-t-il affirmé, se disant prêt à se rendre à Alger pour engager un dialogue.

Une évolution notable de sa position qui s’est adoucie sous la pression du monde diplomatique qui ne comprenait pas que l’on sacrifie 50 ans d’histoire commune à un besoin de communication. Car c’est d’abord à cela que correspondent les sorties de Retailleau et Darmanin dans une course à l’échalotte pour plaire à l’électorat d’Extrême Droite.

Barrot a insisté sur l’importance d’une relation constructive entre les deux nations, qu’il considère comme des « voisins » et « grands pays de la Méditerranée ». Cette position, soutenue par des diplomates et des membres du Quai d’Orsay, contraste fortement avec les discours de Retailleau et Darmanin, qui misent sur un rapport de force.

L’Algérie hausse le ton

Le président Abdelmadjid Tebboune ne reste pas silencieux face à ces tensions. Il rappelle fermement à la France ses obligations internationales, notamment concernant l’expulsion récente d’influenceurs algériens. La Convention consulaire de 1974 n’a pas été respectée : les autorités algériennes n’ont été ni informées des arrestations ni des procédures d’expulsion. Certains expulsés, parents d’enfants français et disposant d’emplois stables, n’ont même pas pu faire valoir leurs droits.

Et La France a beaucoup à perdre à durcir le ton. Pour donner le ton, l’Algérie vient d’annoncer qu’elle renonçait à acheter du blé français, créant un petit séisme chez les céréaliers français. Et dans cette période de crise énergétique, Paris tremble devant le risque qu’Alger ne coupe le robinet du gaz, indispensable pour alimenter le Sud de la France.

Emmanuel Macron se retrouve ainsi face au choix de suivre la ligne dure de Retailleau et Darmanin, au risque de fracturer définitivement les relations avec un partenaire historique, ou privilégier la voie diplomatique prônée par Villepin et Barrot. Après la perte des bases françaises dans toute l’Afrique francophone, ce nouveau revers signerait la fin définitive de l’influence française sur le continent.

Sa décision sera scrutée bien au-delà des frontières françaises et algériennes, alors que l’Afrique francophone dénonce de plus en plus une diplomatie française teintée de paternalisme. L’avenir de l’accord de 1968, symbole d’une relation complexe entre les deux pays, pourrait bien révéler la capacité de la France à adapter sa diplomatie aux mutations géopolitiques en cours.

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