Les victimes du Chemin de Fer Congo-Océan (CFCO) ont été conduites à leur dernière demeure ce lundi. Après les pleurs, le temps d’établir les responsabilités semble venu. Une enquête a été ouverte. L’Etat congolais met en cause le conducteur du train, « ivre ». La société civile, elle, s’en prend à l’Etat.
À Pointe-Noire, ce lundi, les drapeaux étaient en berne. Sur les principales artères, des branches de palmiers accrochées aux arbres en signe de deuil. Prières, chants et manifestations de tristesse se multiplient dans les rues. Après trois jours de deuil national, les obsèques des victimes du déraillement du train du Chemin de Fer Congo-Océan (CFCO) survenu le 21 juin dernier à Yanga, à 60 km de Pointe-Noire (la capitale économique), ont eu lieu cimetière de Vindulu. Les sept véhicules transportant les cercueils recouverts du drapeau national étaient accompagnés de nombreux congolais émus. Parmi les 56 passagers qui ont trouvé la mort dans cet accident ferroviaire, 54 ont été inhumés en présence du couple présidentiel. Les deux victimes restantes, de confession musulmane, avaient déjà été portées en terre aussitôt après l’accident comme l’exigent les rites islamiques.
Un bilan humain revu à la baisse
Depuis le tragique accident, la polémique enfle et les autorités congolaises sont mises en cause. Ne serait-ce que sur le bilan de la catastrophe. Soixante-seize morts, « c’étaient les premiers chiffres donnés dans l’émotion et la précipitation. Aujourd’hui, nous les corrigeons. Et seul le comité de crise est mieux placé pour donner des chiffres exacts. », a expliqué samedi Michel Mongo, le responsable de la communication du comité de crise. Selon lui, le cafouillage initial sur le bilan humain est une méprise. Le chiffre de soixante-seize a été transmis par un membre du comité à l’Agence de presse française (AFP) le 23 juin. Il est par conséquent à mettre sur le compte du choc suscité par cet accident ferroviaire. Un haut responsable du comité de crise, joint par l’AFP et désirant conserver l’anonymat, a même anticipé tout soupçon : « Il ne faudrait pas qu’on pense que les autorités sont en train de cacher quelque chose. En tout cas, nous n’avons enregistré que 54 corps. »
Cependant il y a plus grave pour les Congolais. Dans son oraison funèbre adressée aux familles, Isidore Mvouba, le ministre d’Etat, ministre des Transports et de la Marine marchande est revenu sur les circonstances de l’accident et a fustigé le comportement du conducteur du train. En cause, selon lui et avant même que la justice ait statué, « l’excès de vitesse et l’état d’ébriété du conducteur. » Les autorités congolaises se sont empressées de déclarer au lendemain de la catastrophe que l’accident n’était pas imputable aux rails du CFCO. Une manière de réfuter les accusations de la société civile qui estime que c’est l’Etat le seul responsable de ce drame. « La voie est très bonne dans cette zone. Elle a été rénovée, notamment sur le tronçon où l’accident s’est produit. Depuis la fin de la guerre, en 2002, le gouvernement a mis en place un programme pluriannuel pour financer, à hauteur de près de 30 milliards de F CFA, la réhabilitation du CFCO, tant au niveau du matériel que de la voie », rappelle-t-on du côté des autorités congolaises.
Selon une source interne au CFCO, jointe par Afrik.com, le conducteur ne s’est pas arrêté en gare de Tchitondi, l’une des étapes cruciales du parcours, pour obtenir le bulletin de voie libre, sésame indispensable pour poursuivre le voyage. Un oubli qui serait dû à sa vitesse excessive. Difficile aussi pour la justice de vérifier cette donnée. Traditionnellement, les locomotives du CFCO sont équipées d’une bande enregistreuse de vitesse qui permet à posteriori de vérifier si le conducteur a respecté les limitations d’usage. Or, le train accidenté n’était pas équipé du matériel adéquat. Quant à l’état d’ébriété, aucune donnée scientifique n’est encore venue le confirmer. Le CFCO révèle également que deux hommes, de trop, étaient en cabine au moment de l’accident. Il s’agissait d’une équipe de conducteurs qui allait prendre son service dans une ville voisine. Roger Bouka de l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) remet en cause la gestion de l’état. « Cet accident démontre, dit-il, que le revenu de la manne pétrolière ne sert pas à reconstruire le pays. Il prouve que le gouvernement ne met pas assez de moyens dans les infrastructures, notamment sur le CFCO construit depuis l’époque coloniale. » Un avis que partage Mathias Dzon, président de l’Alliance pour la république et la démocratie (ARD), une des deux principales coalitions de l’opposition : « La responsabilité du gouvernement est grande dans ce drame. Le gouvernement ne conçoit aucun programme de réhabilitation de la voie ferrée ».
L’Etat est responsable du drame pour la société civile
La voie reliant Brazzaville, capitale politique, à Pointe-Noire, capitale économique, longue de 510 km est un axe vital pour le Congo. Toutes les marchandises importées ou exportées transitent par le port de Pointe-Noire. Le CFCO est né du besoin de relier Brazzaville à la mer, le fleuve Congo permettant seulement de relier la capitale au nord du pays. Rattaché à l’agence Trans-équatoriale de communication, chargée de mutualiser les moyens de transport de quatre pays – Congo, Gabon, Centrafrique, Tchad -, le CFCO détenu par l’Etat congolais lance un appel d’offre en 2004. La privatisation du chemin de fer échoue : aucun repreneur ne tentera l’aventure. Les troubles qui agitent le pays au sortir de la guerre viennent compromettre la sécurité du trafic et font définitivement fuir les investisseurs au rang desquels les consortiums français, Bolloré, et sud-africain, Sheltam Mvela. L’Etat congolais doit investir de l’argent même si certaines voix laissent entendre que c’est loin d’être une priorité. D’ailleurs, l’opposition et des associations de la société civile n’ont pas manqué de donner une dimension politique à l’événement.
En marge des obsèques de lundi, Isidore Mvouba a annoncé qu’il accorderait une indemnisation à chacune des familles touchées par cette catastrophe. Toutefois, le gouvernement n’entend pas apporter une compensation financière aux passagers qui se seraient glissés dans le train sans titre transport. C’est le deuxième accident majeur qui se produit sur le CFCO. Le 5 septembre 1991, deux trains étaient entrés en collision à Mvoungouti : un train de marchandises du CFCO, qui avait pris le départ de Loutété pour Pointe-Noire, et le train Express T.E1, en provenance de Pointe-Noire, qui devait passer, sans arrêt, sur la voie principale. Mais contrairement aux dispositions prises en gare de Mvoungouti, l’express passe sur la voie d’évitement à toute vitesse. La collision occasionne la mort de plus de 100 passagers et fait 300 blessés. C’est, à ce jour, le plus grave accident ferroviaire du pays dont la mémoire des victimes est saluée chaque année. Depuis la colonisation, le CFCO est un tombeau ouvert que le gouvernement congolais peine à refermer. Une enquête judiciaire a été ouverte pour faire la lumière sur le dernier drame du CFCO.