Quels que soient les dirigeants, le pays, la culture, le pouvoir doit être accompagné de contre-pouvoirs au risque de voir des dérives contraires au bien commun s’installer.
Dans son article, Pa Musa Jallow, s’inquiète du manque de contre-pouvoirs en Afrique qui fait que même les révolutions, les coups d’Etats ou autres renversements de pouvoirs autocratiques, débouchent sur de nouvelles équipes imposant les mêmes dominations aux citoyens de leur pays. Il en sera ainsi tant qu’il n’existera pas de contre-pouvoirs organisés au sein de la société civile et des médias.
L’histoire nous montre qu’il a toujours existé une lutte entre le pouvoir et le contre pouvoir. Les révolutionnaires les plus idéalistes et les plus nobles, une fois au pouvoir, deviennent des caricatures des dictateurs ou des dirigeants qu’ils ont renversés. La dictature de Fidel Castro, par exemple, n’a pas été beaucoup mieux que celle de Batista. Il en va de même pour la Chine maoïste. Même l’administration d’Obama, à la consternation de beaucoup d’idéalistes, n’a fait que prolonger les politiques de Bush, particulièrement en ce qui concerne la guerre et le renforcement du complexe militaro-industriel. Cela ne veut pas dire que Castro, Obama ou même Hugo Chavez sont mal intentionnés, mais ils illustrent juste le vrai problème, qui est la tentation du pouvoir.
Tout le monde connait l’affirmation : «Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument». Il faut certes un pouvoir car l’anarchie n’est ni un état naturel ni un contexte désirable. Dès lors, l’équilibre du pouvoir est le véritable défi. Cela implique la mise en place de mécanismes solides et indépendants pour lutter contre les abus du pouvoir établi.
Dans les démocraties libérales occidentales, le mythe, selon lequel le pouvoir est contrôlé, est tombé après le 11 septembre 2001 et lors de la course à l’invasion de l’Irak. Malgré des preuves écrasantes et une opposition de l’opinion publique, les autorités des États-Unis, du Royaume-Uni et même de Espagne, ont mené la guerre en Irak entraînant des millions de morts et la crise de leurs Etats en raison d’une mésaventure militaire financièrement et économiquement insoutenable. Le pouvoir cherche toujours à s’étendre et à se perpétuer par tous les moyens, parfois même au détriment de la société et/ou de l’Etat. Comment freiner cette tendance néfaste ?
La réponse est incontestablement la mise en place de contre-pouvoirs forts capables de contrôler l’autorité établie. Par définition cette organisation qui peut être sociale, politique, économique ou même religieuse n’a pas vocation à prendre le pouvoir . C’est une coalition de tous ceux qui sont en dehors du système du pouvoir établi dont le seul but est de contrecarrer les dépassements et l’excès du pouvoir établi. L’un des partisans les plus célèbres de la théorie néo-révolutionnaire du contre-pouvoir était John Holloway dans son célèbre livre «Changer le monde sans prendre le pouvoir». Pour lui chacun peut changer le monde par des actes de résistance enracinés dans le quotidien. Il a soutenu que la prise du pouvoir institutionnel dans un sens classique peut mener à une impasse car il s’agit seulement de la substitution d’une domination de pouvoir par celle d’un autre. L’objectif est donc de tenter de créer un mécanisme qui contrôle le pouvoir établi.
Malheureusement, l’histoire a montré qu’une fois au pouvoir les révolutionnaires (autrefois contre-pouvoir) reproduisent un environnement autoritaire. Parmi les exemples typiques: Muammar Kadhafi qui a imposé ses propres vues à la Libye depuis 1969 ; Les frères Castro depuis 1950 à ce jour ; La révolution nassérienne en Egypte qui a remplacé un roi faible par une dictature monolithique ; l’APRC de Jammeh remplaçant le PPP de Jawara ; Le PDS de Wade Sopi remplaçant le PS de Senghor-Diouf au Sénégal ; l’Ougandais Museveni remplaçant Obote-Amin-Lule-Okello ; Ou le père et le fils de Kabila remplaçant Mobutu Sese Seko. Dans aucun de ces pays, les révolutions ou les changements n’ont pu offrir au peuple l’utopie promise. Le problème peut ne pas résider uniquement dans les personnes, mais dans la structure et la nature du pouvoir.
Miguel Benazayag et Diego Sztulwark soutiennent que les individus et les sociétés civiles ont un rôle fondamental à jouer en tant que «activistes de la situation». Ils soulignent que collectivement les citoyens détiennent plus de pouvoir que les instances étatiques, s’ils sont organisés. Dans les Etats néo-coloniaux en Afrique, où l’autorité de l’Etat et/ou de ceux au pouvoir sont disproportionnés, que ce soit la Libye de Kadhafi, la Gambie de Jammeh, l’Egypte de Moubarak, le Sénégal de Wade ou le Burkina Faso de Campaore, le changement de personnes au pouvoir n’est pas nécessairement synonyme de plus de démocratie. D’où la nécessité de mécanismes de contre-pouvoir de manière à critiquer et contester le pouvoir établi si nécessaire, comme ça a été le cas récemment au Nigéria et en Gambie.
Plus on étudie le pouvoir et sa dynamique, plus on en comprend l’usage, le rôle et la psychologie, plus on comprend que le problème réside dans la nature et la structure du pouvoir, et que la nécessité de la mise en place de leviers de contre-pouvoir est urgente. Ainsi, le rôle du contre-pouvoir de la société civile est de chercher à influencer et à encourager le respect des dispositions constitutionnelles, civiles et des droits de l’homme. Il ne s’agit pas de chercher le pouvoir, mais d’inciter les dirigeants à servir le bien commun. Déjà en leur temps, les pères fondateurs des Etats Unis soulignaient qu’une démocratie pourrait s’avérer tyrannique si elle se limitait à un bulletin dans l’urne. La démocratie repose avant tout sur un contre-pouvoir solide.