De nombreux poètes arabes et persans n’ont cessé de jouer avec les limites de la morale. Parmi eux, Abou Nouwas était sans doute le plus provocateur et certainement l’un des plus talentueux. D’abord protégé par certains mécènes puis contraint à l’exil en Egypte, le grand poète finira sa vie en prison où il trouvera la foi. Sa vie scandaleuse et son amour du péché auront raison de sa liberté.
Issu d’un milieu persan arabisé, le jeune Abou Nouwas est vendu par sa famille à un épicier de Bassorah, puis migre vers Bagdad à la fin du VIIIe siècle. Là-bas, il se lance dans la poésie et brille de par son esprit et son humour. Il est même remarqué par les vizirs barmécides, qui assurent sa protection et son traitement. Le talentueux poète connaît alors une période de liberté et touche à de nombreux sujets tabous dans les sociétés musulmanes de l’époque (et d’aujourd’hui) comme le vin ou l’homosexualité. Il donne d’ailleurs des cours de lettres à de nombreux jeunes hommes issus des plus grandes familles de la ville.
Or, progressivement, sa liberté de ton choque certaines composantes de la société, et particulièrement le calife Haroun ar-Rachid, qui en plus d’être pieux ne supporte pas les Barmécides. Il finit d’ailleurs par les faire assassiner. Abou Nouwas perd donc soudainement ses protecteurs et fuit vers l’Egypte afin de ne pas subir le même sort. C’est à la mort du calife, en 809, qu’il peut enfin quitter l’Afrique pour retourner à Bagdad.
Le malheureux retour d’Egypte
En arrivant dans la cité, Abou Nouwas est certain de pouvoir exercer à nouveau sa poésie en toute quiétude. En effet, le nouveau calife, Muhammad Al-Amin, fils de Haroun ar-Rachid, n’est autre qu’un de ses anciens élèves. Dans un premier temps, il ne cesse d’écrire des poèmes élégiaques sur ce nouveau protecteur, qui l’apprécie. Toutefois, le comportement du poète se dégrade de jour en jour. Il boit de plus en plus, se montre avec de jeunes hommes et sa plume devient si scandaleuse qu’Al-Amin ne peut plus s’encombrer d’un tel ami et le fait emprisonner.
Al-Mamoun renverse finalement son frère, Al-Amin, en 813. Plus conservateur, ce dernier n’a aucune pitié pour Abou Nouwas, qui pourtant cherche à se forger une nouvelle réputation en faisant son éloge et en demandant à Dieu de lui pardonner dans ses poèmes. Certains pensent que son repentir est sincère, d’autres qu’il ne vise qu’à gagner le cœur du nouveau calife, à l’instar du vizir Zombor. Le captif s’éteint finalement, peut-être empoisonné, dans sa cellule de Bagdad en 815, avec tout son talent. Il laisse derrière lui une multitude de poèmes qui gardent encore de nos jours leur caractère subversif.
Un exemple de poème corrosif : « Au bain maure »
« Ce que les pantalons ont caché se révèle.
Tout est visible. Rince-toi l’œil à loisir.
Tu vois une croupe, un dos mince et svelte
Et rien ne pourrait gâcher ton plaisir.
On se chuchote des formules pieuses…
Dieu, que le bain est une chose délicieuse!
Même qu’en venant avec leurs serviettes,
Les garçons du bain ont troublé la fête. »