» Faut pas fâcher » est une émission incontournable de la Radio Télévision Ivoirienne. Son but est la prise de conscience des Ivoiriens face aux problèmes récurrents de leur société et pour cela elle se sert d’une arme imparable: l’humour.
Tous les soirs avant le journal télévisé de la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) dite « la première », des milliers d’Ivoiriens se pressent devant leurs écrans de télévision pour regarder l’émission dirigée par Guédéba Martin, » Faut pas fâcher « .
Conçue sous la forme d’un sitcom, elle traite des problèmes sociaux sérieux et graves par le biais de l’humour. Elle emprunte au théâtre les vertus que cet art cultive depuis toujours, châtier les moeurs par le rire. « Ce qui est génial avec » Faut pas fâcher « , c’est qu’elle regroupe ensemble et au même moment des Ivoiriens de tout statut social mais aussi des Guinéens ou Maliens chez qui l’émission est également diffusée, on se rend compte que la culture du rire est commune à tous » nous explique Adèle Thoré, une Ivoirienne aujourd’hui installée en France
Des Ivoiriens de toutes classes s’y adressent aux téléspectateurs par un moyen hérité de la tradition orale pour dénoncer, réprimander et conseiller : la mise en scène. Le ton peut être sévère comme léger selon la gravité des problèmes. La caricature et la parodie sont les armes bien aiguisées dont le réalisateur se sert de façon astucieuse pour que ceux dont on se moque n’y voient rien de dangereux.
La RTI a privilégié une parole quasi libre, qui fait des sketches une scène où se dit ce qui dérange. On aurait tort de considérer l’émission comme un simple divertissement, car elle est d’abord et avant tout un moyen d’information qui dénonce ouvertement les tares de la société ivoirienne, s’impose en moralisateur public et se moque des puissants. Tous ont le même avis, « Faut pas fâcher nous fait mourir de rire mais on reste malgré tout conscient des problèmes de notre société traités dans l’émission »
Matière à instruction
Le secret de ces sketches est un procédé qui permet de créer un effet de réel en donnant une valeur d’authenticité à des scènes totalement fictives. Le langage employé est populaire, le décor est naturel et les acteurs pour la plupart sont connus car récurrents. » Faut pas fâcher » n’est plus seulement un rendez-vous quotidien avec une émission mais un rendez-vous avec des visages et des caractères familiers.
Ainsi, alors que les communiqués restent souvent lettre morte, que les discours politiques ennuient, que la parole politique est considérée comme corrompue, intéressée, que la presse foisonnante en Côte d’Ivoire n’est lue que par une catégorie restreinte de personnes, la mise en scène de l’information est d’une nature à susciter l’écoute et l’attention. Le but est d’impliquer les gens dans leur environnement quotidien en leur parlant à travers des personnages dans une langue qu’ils comprennent. Car en plus d’apporter une matière à l’instruction de la population t à sa connaissance des problèmes sociaux, » Faut pas fâcher » parle dans un langage que les gens comprennent, celui de l’Ivoirien. Le personnage du patron s’y exprimera dans un français qui correspond à l’image que l’on se fait de lui, l’Ivoirien moyen y parlera un langage dans lequel il se sent à l’aise. Mais tous s’y reconnaîtront et seront impliqués par les thèmes évoqués. Car à travers leur verve c’est la société toute entière qui se donne les moyens d’être une véritable démocratie.
Karima Moussaïd