Des têtes vont tomber au Sénégal. Après avoir énuméré les affaires dans lesquelles ils sont mis en cause, un Abdoulaye Wade revanchard a annoncé jeudi que des poursuites allaient être engagées contre Idrissa Seck et ses trois autres poursuivants aux présidentielles, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse et Amath Dansokho.
La victoire d’Abdoulaye Wade rappelle celle d’Abdelaziz Bouteflika, en Algérie, en 2003 – les soupçons de fraude mis à part – à qui la presse prédisait un second tour. Le président sortant sénégalais, comme son homologue algérien, a été largement réélu au premier tour, avec 55,8% des voix. Pourquoi tant de personnes ont été surprises ? a demandé Abdoulaye Wade, jeudi, lors de sa première sortie médiatique depuis les élections. « C’est parce qu’elles étaient mal informées. Parce que la presse nationale avait donné l’impression, depuis quelques années, que j’étais minoritaire ». Mais « l’opinion des journalistes n’est pas l’opinion des Sénégalais », a-t-il affirmé depuis son palais présidentiel, ajoutant que les médias étrangers sont intoxiqués par des émissaires de l’opposition dont c’est la fonction.
L’autre explication, selon lui, est qu’il a « parlé raison » avec les jeunes sénégalais. « J’aurai pu dire « votez pour moi : l’année prochaine, je prends 30 000 d’entre-vous, je les amène en Espagne » », a-t-il expliqué, faisant sans doute référence à une promesse du candidat socialiste Ousmane Tanor Dieng, qui avait accusé Wade d’« injure à la jeunesse » après les rapatriements opérés depuis les Canaries et promis de renégocier afin que « 20 000 à 30 000 jeunes » puissent migrer « chaque année » vers l’Europe. Au contraire, poursuit-il, « je leur ai dit que l’Espagne est un pays indépendant. Je ne peux pas imposer à ce pays d’accepter les Sénégalais. Mais je peux discuter avec ses dirigeants [qui] ont besoin de la main d’œuvre sénégalaise. »
il y en aura pour tout le monde
Cette mise au point faite, le président sénégalais s’est attaché à démonter les rumeurs de corruption circulant autour de lui et de son fils Karim Wade. Des rumeurs dont il accuse nommément l’ancien Premier ministre Idrissa Seck d’être à l’origine. Après quoi, fort de sa nouvelle légitimité, il s’est occupé du cas de chacun de ses poursuivants au score des élections présidentielles. Non pas pour faire la « chasse aux sorcières », a-t-il assuré, mais parce que les poursuites existent et qu’il les avait suspendues afin de ne pas être accusé de blocage à l’encontre des candidats à la présidentielle.
Evoquant ce grand déballage et cet interventionnisme, Le Quotidien, dénoncé par le président pour des articles l’accusant sans fondement, estimait vendredi que « le principe républicain de la séparation des pouvoirs en prend un coup terrible ». En revenant longuement sur le dossier Idrissa Seck, dont les médias ne savaient plus que penser depuis que les deux hommes s’étaient rencontrés, Abdoulaye Wade a révélé malgré lui l’espace ténu pouvant exister entre les pouvoirs exécutif et législatif. « M. Idrissa Seck, étant en prison, nous étions dans une sorte de jeu d’échecs à distance, développe-t-il. Quand, à un moment donné, il a demandé que je l’aide à sortir, je lui ai dit à la condition qu’il rembourse l’argent qu’il a détourné… » Il accuse aujourd’hui son ancien protégé de ne pas avoir tenu ses engagements en matière de remboursement et d’avoir détourné environ 40 milliards de FCFA de leur fonction de fonds politiques. Ils dormiraient dans des banques étrangères, notamment en Suisse.
A Ahmat Dansokho, il reproche la vente de terres à l’intérieur et aux abords de l’aéroport de Dakar, lorsqu’il était ministre de l’Urbanisme, et le détournement de fonds lorsqu’il était maire de Kédougou. « Ne soyez pas surpris si [il] est poursuivi », a déclaré Abdoulaye Wade, qui assure en avoir fait « autant ou plus » que quiconque au Sénégal en matière de lutte contre la corruption. Le principal intéressé a immédiatement riposté en accusant le président de « mensonge qualifié », sur les ondes de Walf FM, affirmant que le responsable des faits reprochés était désormais sous la protection d’Abdoulaye Wade.
Le candidat de la Coalition alternative 2007, Moustapha Niasse, s’est vu accrocher deux casseroles, l’une concernant sa maison sur la Corniche et l’autre un bureau consulaire à Hong Kong où il aurait vendu des passeports aux Chinois. Quant à Ousmane Tanor Dieng, il aurait vendu des licences à des pêcheurs chinois pour une valeur de 20 millions de FCFA et acheté des véhicules pour le parti socialiste avec cette somme.
Tanor Dieng, Idrissa seck, Abdoulaye Bathily ou encore Moustapha Niasse ont réaffirmé jeudi que l’élection de dimanche a été entâchée de fraudes. Ils ont promis de faire la lumière sur « les dysfonctionnements qui ont inversé les tendances réelles de l’élection » et de déposer un recours en annulation devant le Conseil constitutionnel, qui a cinq jours pour officialiser la victoire du président Wade.
Lire des extraits de la conférence de presse sur Walfadjri