Mame Marie Faye, une ophtalmologue dakaroise vient d’être condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir déclaré que l’état de santé d’Abdoulaye Wade le rend inapte à gouverner le pays. A 84 ans, le président a annoncé qu’il se représentera en 2012 et se dit en bonne santé.
Au Sénégal où Abdoulaye Wade, malgré ses 84 ans, envisage de solliciter un nouveau mandat en 2012, il est risqué de parler de la santé du président. Mame Marie Faye, une ophtalmologue exerçant à Dakar, la capitale, vient d’en faire l’amer constat. Ce lundi, elle a été condamnée à un an de prison avec sursis et 500 000 francs CFA d’amende pour « actes et manœuvres de nature à compromettre l’ordre public et diffusion de fausses nouvelles.» Et le juge du tribunal des flagrants délits de Dakar, qui a rendu ce verdict, semble même avoir été clément. Car s’il avait suivi l’avis du parquet, lequel avait requis une sanction plus sévère au motif que l’ophtalmologue « ne doit pas jouir de toutes ses facultés mentales pour faire des déclarations aussi graves qui portent gravement atteinte à la sécurité de la République », il aurait triplé cette peine. Le crime de Mame Marie Faye est d’avoir remis en cause la capacité du président Wade à continuer à gouverner son pays. Pour elle, il serait gravement malade.
Fin novembre, devant des journalistes, au siège de la Rencontre africaine de défense des droits de l’Homme (Raddho) à Dakar, Mame Marie Faye avait déclaré qu’Abdoulaye Wade souffre de quatre maladies qui ont pour effet de le rendre inapte à exercer la magistrature suprême. Deux de ces maladies, avait-elle expliqué, sont « visibles et évidentes » alors que les deux autres relèvent de « présomptions ». Elle n’avait toutefois pas présenté de document médical appuyant ses déclarations. Ce qui ne l’avait pas empêché de suggérer au Conseil constitutionnel d’invalider la candidature d’Abdoulaye Wade pour la présidentielle de 2012 à laquelle il avait déjà annoncé qu’il se présenterait.
Dans un premier temps, la présidence sénégalaise avait réagi par communiqué, qualifiant de « ridicule » et de « honteux » les affirmations de l’ophtalmologue. Ensuite, la Division des investigations criminelles (Dic) de Dakar avait procédé à son interpellation à son domicile pour la conduire directement au tribunal où elle a été entendue les 1er et 2 décembre, avant d’être jugée selon la procédure du flagrant délit.
Abdoulaye Wade ne se sent pas vieux et veut rempiler en 2012
Lors du procès de ce lundi, les avocats de Mame Marie Faye ont plaidé la liberté d’expression. Ils ont également demandé au juge de convoquer certains membres de la famille Wade qu’ils soupçonnent de lui administrer des produits dopants pour qu’il garde la forme. En vain. Ils ont annoncé qu’ils interjetteront appel. Car si Abdoulaye, qui aura 86 ans lors de l’élection présidentielle de 2012, ne fait pas mystère de son grand âge, il tient cependant à rassurer les Sénégalais sur son état de santé, gage de sa capacité à gouverner. Dans une récente interview diffusée sur RFI et France 24, le chef du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) au pouvoir à Dakar depuis dix ans a assuré : « Ma grande mère a vécu 121 ans alors que mon père est mort à 101 ans en gardant toutes ses facultés. Je n’ai pas de problème c’est peut être une question de longévité. C’est un héritage.». Il a ajouté : «Je me porte très bien, je me sens en forme à tout point de vue. Si je me sentais malade, je ne vois pas pourquoi j’insisterai. On me parle de mon âge, je n’ai pas de complexe.»
Ce n’est donc pas l’âge ou son état de santé qui pourrait, selon Abdoulaye Wade, lui barrer le chemin vers un troisième mandat. Ce n’est sans doute pas non plus la limitation constitutionnelle à deux mandats, ou même son fils Karim qu’il a érigé en hyper-ministre cumulant plusieurs portefeuilles stratégiques qui pourraient l’en empêcher. «Peut-être que dans certains pays, il y a une limitation d’âge pour la présidentielle. Cela n’existe pas chez nous donc il faut laisser aux Sénégalais la latitude de voter pour un candidat sans considération de l’âge (…). Je suis candidat à la présidentielle de février 2012 et mon parti a décidé de me présenter et de me soutenir tout comme des Sénégalais aussi. Moi je suis un démocrate, je laisse les Sénégalais décider.» Alors que les Sénégalais redoutent une succession monarchique au profit de son fils, Abdoulaye Wade a botté en touche. « Je ne prépare pas mon fils à être président de la République du Sénégal. Mais je ne l’empêcherai pas d’être candidat (…) Si je devais le présenter à la présidentielle, je commencerais par sortir d’ici. Le jour où je déciderai de présenter mon fils, on ne me fera pas la morale. Je commencerai par retourner chez moi tranquillement et remettre ces lieux à quelqu’un d’autre conformément à la constitution. Et après, il ira se présenter. »
Les opposants Sénégalais qui supportent mal qu’il veuille se représenter sont beaucoup moins affirmatifs. Lors de l’interrogatoire de Mame Marie Faye en début de ce mois, certains d’entre eux ont manifesté devant le palais de justice de Dakar, exigeant d’Abdoulaye Wade qu’il publie son bulletin de santé. Les populations observent de loin cette querelle sur la santé et la représentation de leur président, attendant l’année 2012 pour se prononcer. S’ils l’élisent de nouveau, il sera sans doute, à 86 ans, le président le plus vieux du monde.
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