Abdou Salam Fall : « Le Sénégal a les ressources nécessaires pour son décollage économique ». Interview.


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Si le Sénégal est un exemple de stabilité politique par rapport à bien d’autres pays africains, la majeure partie de la population vit toujours dans une grande pauvreté. Elle est en effet confrontée à la vie chère, notamment aux prix très élevés des denrées alimentaires de premières nécessité, qui rend le quotidien périlleux. Sans compter le coût du logement. Le professeur Abdou Salam Fall, directeur de Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (LARTES), analyse pour Afrik.com les raisons de la pauvreté au Sénégal, et son évolution.

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Le professeur Abdou Salam Fall est sociologue à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal. Enseignant-chercheur depuis vingt ans, il est titulaire d’un doctorat en sociologie urbaine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et d’un doctorat en sociologie économique de l’Université d’Amsterdam, aux Pays-Bas. Il dirige le Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (Lartes) de l’IFAN au Sénégal depuis 2007. LARTES a réalisé une étude rendue publique en mai dernier sur les impacts inter-générationnels des chocs sur la pauvreté des ménages au Sénégal.

Afrik.com : Alors que le Sénégal a la stabilité politique pour se développer, pourquoi la majorité de sa population vit dans la pauvreté ?
?_ Abdou Salam Fall :
Il est vrai que le Sénégal présente une pauvreté structurelle, très ancrée dans le pays. Et c’est valable en milieu urbain comme en milieu rural. ? ?Il faut noter qu’en milieu rural, la majorité de ceux qui sont nés pauvres le resteront toute leur vie. Une situation due aussi au faible niveau d’instruction des populations des zones rurales, jouant considérablement sur les facteurs de paupérisation. Les générations actuelles sont plus confrontées à la pauvreté que leurs ainés en raison notamment de chocs climatiques. Mais grâce à la transition démographique amorcée depuis une bonne dizaine d’années, surtout que la population inactive est assez jeune, en 2035, le Sénégal devrait atteindre sa vitesse de croisière pour tirer bénéfice de cette situation démographique. Une telle opportunité ne se présente pas souvent et s’opère exceptionnellement dans la vie d’un continent. Mais cette fenêtre d’opportunité demande un certain nombre de facteurs, dont le capital humain.?

Afrik.com : C’est à dire? ?

Abdou Salam Fall :
Pour accéder au développement, il ?faut un investissement important pour garantir le capital humain?,? ainsi que la qualité de l’éducation, la santé en terme de qualité et de couv?erture, ?et un système de protection social structuré. Ce sont ces trois éléments qui peuvent garantir la qualité du capital humain. Deuxièmement, il faut des investissements qui peuvent garantir ce capital humain, en créant des emplois de qualité. Avec ces deux conditions, le décollage économique est possible.

Afrik.com : Etes-vous du même avis que les économistes qui affirment que le Sénégal a raté son décollage économique ?

Abdou Salam Fall :
Au Sénégal, il y a une disponibilité de ressources qui peuvent permettre de réaliser les conditions d’un décollage économique. Le problème c’est que les ressources intérieures du pays ne sont pas exploitées ni transformées pour permettre le développement. ?On a réalisé une étude sur la pauvreté rurale fin 90, on avait observé que les hommes les plus vulnérables sont les hommes qui ont le plus de potentiel agro-écologique, c’est-à-dire le plus de ressources naturelles et une meilleure couverture pluviométrique. Un véritable paradoxe. Mais tout le monde sait que lorsqu’une production de première main n’est pas réintégrée dans l’économie, on ne tire pas profit des ressources par le mécanisme de la transformation.

Afrik.com : Alors concrètement qu’est-ce qui empêche le décollage économique du pays ?

Abdou Salam Fall :
Nous avons un environnement en terme de disponibilité assez favorable, mais sa mise en valeur dépend d’investissements pas réalisés. Le problème du Sénégal, en effet, c’est qu’il dispose d’immenses ressources agricoles qui ne sont pas exploitées. Contraiement à ce que l’on pense, le Sénégal n’a pas que des ressources intellectuelles. Depuis les années 60, les ressources hydrauliques du pays n’ont été exploitées qu’à hauteur de 5%. Valable pour les ressources en terre. Dans la région de Matam, où il ya un potentiel extraordinaire, 10% seulement des terres sont mises en valeur, sur les 55 000 hectares de terres aménageables.

Afrik.com : En dehors de la pêche, de l’arachide, quelles sont les autres ressources naturelles dont dispose le Sénégal?

Abdou Salam Fall :
Nous avons de l’or dans la région de Kédougou, du fer, du phosphate à Matam, et des recherches sont en cours pour savoir si nous disposons de gaz. Nous avons aussi des ressources forestières très importantes, même si elles ne sont pas explorées. Nous avons un bétail de qualité et de très bon produits maraîchers comme l’oignon, la tomate, la patate douce. Sans compter encore le riz, l’arachide. Il faut investir dans tous ces secteurs pour transformer l’économie. L’Etat doit mieux prendre en compte les ressources intérieures du pays, notamment les entreprises locales, qui ne sont pas accompagnées pour être efficaces. Les conditions d’un décollage économique sont disponibles mais il faut des investissements structurels.

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