Abdou Khadre Lô – Ils sont nombreux les Sénégalais à effectuer un retour au bercail pour participer au développement de leur pays. Un phénomène auquel AFRIK.COM s’est intéressé dans un dossier. Dans cette première publication, Abdou Khadre Lô, à la tête de la société de conseil en communication Primum Africa, qu’il a fondée alors qu’il n’avait que 27 ans, nous explique comment il a réussi son pari de rentrer au Sénégal après l’obtention de son diplôme en France. A à peine 37 ans, celui qui est aussi soutien de famille d’une cinquantaine de personne est connu des médias sénégalais et internationaux pour ses analyses pertinentes. Rencontre avec un outsider au parcours sans faute.
A Dakar
Abdou Khadre Lô n’est pas du genre à reculer dès la première difficulté. Il fait partie de ceux qui prônent l’excellence en toutes circonstances pour donner toujours le meilleur d’eux-mêmes. D’ailleurs, dès lors qu’on franchit la porte de son bureau, la première chose qui interpelle chez lui, c’est sa grande assurance. En bon Sénégalais, celui qui est toujours élégant, arborant veste et cravate assorties, est à la tête de la société de conseil en communication Primum Africa. Située au cœur de la capitale sénégalaise, Dakar.
« Pour moi c’était clair dans ma tête : après mes études en France, je devais rentrer »
Lui aussi comme de nombreux Sénégalais a fait le pari de rentrer après avoir effectué ses études. « Pour moi c’était clair dans a tête : après avoir obtenu mes diplômes je devais rentrer dans mon pays », explique-t-il. Il n’a en effet jamais eu de doute sur le fait qu’il réussirait au Sénégal. Après avoir obtenu son baccalauréat Littéraire, d’où il sort major de sa promotion, en 1995, il s’envole pour la France. Il s’inscrit à l’université de la Sorbonne pour étudier la philosophie et sciences politiques. Il se fait très vite remarquer pour ses compétences et est embauché au Quai D’Orsay, où il travaille comme consultant politique. Il travaille également pour RFI au bureau du service Afrique, auprès de Juan Gomez, Alain Focart, ou encore de la défunte journaliste Ghislaine Dupont.
En 2005, l’universitaire Babacar Ndiaye lui parle d’une opportunité professionnelle qui pourrait l’intéresser au Sénégal. « Il m’a expliqué que l’ONG Osiwa cherchait quelqu’un de bilingue en français et en anglais pour un projet de création d’une radio. Il savait que j’étais bilingue, explique-t-il. Osiwa recherchait un chargé de recherche pour aider les journalistes à mieux comprendre les conflits et enjeux au sein de la sous-région, dans des pays tels que le Liberia et la Sierra-Leone. Mon rôle était de leur donner toutes les infos, dont ils avaient besoin. Je correspondais parfaitement au profil qu’ils recherchaient ». Après un entretien qui a eu lieu à Paris, il est embauché. Et retourne donc dans son pays d’origine.
En plus d’encadrer les journalistes de la radio, il produit également deux émissions tout en présentant sa propre émission, The interview, où une personnalité de la sous-région est interviewée. Trois ans et demi plus tard, le jeune homme comprend qu’il est temps pour lui de lever l’ancre et de fonder sa propre entreprise : Primum Africa. Il débute avec rien, et est épaulé par sa secrétaire. « On a démarre à deux, on est aujourd’hui plus de 35. Il y a huit salariés permanents et plus de 35 consultants », explique Abdou Kadre Lô.
Une entreprise aux multiples services
Primum Africa n’est pas seulement une société de conseil en communication. L’entreprise, qui a plusieurs cordes à son arc, est polyvalente et propose de nombreux autres services, dont celui de la traduction de documents en anglais. Là aussi, Abdou Khadre Lô tient à offrir le meilleur service qu’il soit : « Quand on travaille pour de grandes instances comme l’ONU, ou l’Union Européenne, on n’a pas le droit à l’erreur. J’ai recruté des traducteurs dont c’est la langue, pour une traduction irréprochable ».
L’entreprise est aussi dotée d’un deuxième volet, le service de communication relations-presse. Elle a même réussi à décrocher un contrat avec le pétrolier écossais Corn Energy, implanté au Sénégal, pour laquelle elle gère la communication. « Ils voulaient mieux connaitre le Sénégal et avoir une vision globale du pays pour investir, selon Abdou Khadre Lô. On leur a fait un dossier très exhaustif sur le Sénégal, dans lequel on leur a présenté l’économie du pays, le système des institutions, le fonctionnement des médias, les différentes confréries religieuses… ». Satisfait du service de Primum Africa, l’entreprise écossaise lui propose même un partenariat. « Tous les lundis, on leur fait un rapport sur l’état du pays. On a même réalisé un film pour eux lors de l’inauguration d’une de leur plateforme », affirme le jeune chef d’entreprise.
Primum Africa propose aussi de former des organisations telles que des ONG au média training afin de leur permettre de mieux communiquer avec les journalistes et gérer les interviews télé et radio. Il faut dire que le chef d’entreprise a le sens de la rigueur et vérifie si le travail est bien fait, jusqu’au moindre détail. Il ne dort qu’à peine trois heures par nuit. Il n’hésite pas à relire entièrement des documents traduits qui font parfois 150 pages pour vérifier systématiquement que les traductions ont été faites correctement. « J’ai eu la chance de vivre dans le Nord et de voir les standards internationaux. Pour moi, c’est le travail de qualité qui permet de vous faire connaître, estime-t-il. Mon objectif était de rentrer chez moi et de faire un travail de qualité ».
Un travail doit être rendu en temps et en heure !
Il ne badine également pas avec le respect des engagements, soulignant qu’un « travail doit être fait en temps et en heure. D’autant que le personnel est à l’image du patron. Si vous vous donnez corps et âme, vos employés suivent aussi. Il faut bosser dans les même standards que ceux en Europe et aux Etats », explique-t-il. Il se remémore encore d’un ministre qu’il lui avait donné rendez-vous avec plus de 45 minutes de retard ! « Comme il n’était toujours pas arrivé, je me suis levé et je suis parti. Pour moi ce n’est pas possible de donner rendez-vous à quelqu’un et d’arriver en retard surtout que j’avais beaucoup à faire », raconte-t-il, l’air agacé. C’est précisément pour sa rigueur et son sérieux qu’il est aussi très sollicité par les médias du pays de la Téranga mais aussi internationaux, tels que la BBC, Jeune Afrique, ou encore RFI, pour ses analyses pertinentes sur la politique sénégalaise.
Primum Africa poursuit, pour sa part, son ascension et prend de plus en plus de poids à l’international. Une société anglaise, basée à Londres et Abou Dhabi, qui propose les mêmes services, a proposé à Abdou Khadre Lô d’être le directeur de leur bureau en Afrique, où ils prévoient aussi de se développer. Aujourd’hui, il a encore du mal à réaliser tout le chemin parcouru : « Ah mais c’est vrai, ça fait déjà 10 ans ? Je suis rentré en 2005, oui donc il y a dix ans, ça passe vite », dit-il, esquissant un sourire.
Un soutien d’une famille de 50 personnes
Il en a, en effet, parcouru du chemin, lui, issu d’une grande famille, originaire du Baol, né d’un père natif de Louga et d’une mère native de Touba. C’est à l’âge de deux ans qu’il arrive à Dakar après la mort de son père biologique. Il est alors élevé par sa mère qui se remarie. Abdou Khadre Lô, dont le père et beau-père avaient tous deux quatre épouses, est le soutien d’une famille d’une cinquantaine de personnes. On le sollicite constamment pour subvenir aux besoins de tous. « J’ai d’énormes responsabilités familiales. Je suis le soutien de tout le monde, je gère tout le monde, je suis le pilier de tout le monde ». Des responsabilités qu’il doit assumer en bon père de famille, en plus de son épouse et de ses deux enfants, âgés de sept ans et quatre ans.
Le jeune chef d’entreprise, qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, fourmille d’idées. Bien qu’il ait été approché par plusieurs partis politiques sénégalais, il a opté pour rester dans le secteur privé, qu’il considère comme son domaine. La politique ne l’intéresse pas, même s’il est conscient qu’il a les capacités de très rapidement gravir les échelons grâce à ses compétences. Selon lui, il est important que chacun soit excellent dans son domaine. « Il faut qu’on ait d’excellents médecins, ingénieurs, avocats et une presse de qualité au niveau continental et à l’international », assène-t-il.
« Il faut préparer le terrain du retour »
Pour contribuer au développement du continent, il encourage les jeunes de la diaspora à « venir tenter leur chance en Afrique où les opportunités sont énormes ». Tout est à faire, « le chantier est énorme alors qu’en Occident, tout est déjà construit. Toutefois, il ne faut pas précipiter le retour. Il faut préparer le terrain et s’assurer d’un certain nombre de choses. Il faut voir les choses de façon globale et être clair dans sa tête », conseille-t-il. Selon lui,« il faut avoir des ambitions, expérimenter des expériences, voir ce qui marche financièrement ». Il admet, bien sûr, qu’il est « difficile de monter sa propre boîte. Mais à force de travail et de rigueur, les clients viendront à vous car ils verront que vous êtes fiable et vous feront confiance ». La réussite a un prix. Par conséquent, « il faut accepter de faire des sacrifices, de peu dormir, de travailler beaucoup ».
Pour ceux de la diaspora qui sont intéressés par l’entrepreneuriat en Afrique, il est même possible, selon lui, « de monter leur entreprise et de la gérer à distance et de voir si ça marche au bout d’un an, en faisant la navette. Il ne faut pas abandonner son boulot du jour au lendemain mais y aller étape par étape et avoir quelqu’un qui a le même profil que soi sur place pour superviser les choses ». Pour ceux qui sont déjà au Sénégal, « vous cumulez votre boulot et la gestion de l’entreprise que vous avez créée, préconise-t-il. Comme cela, vous n’avez pas le stress du salaire qui ne tombe pas tous les mois. Une fois que ça marche, vous démissionnez de votre travail pour vous consacrer entièrement à votre entreprise ».
Sa philosophie est simple. « Quand on veut, on peut. Il faut être bon dans son domaine pour que les gens ne vous prennent pas pour un rigolo. Il faut avoir les compétences, la volonté, être irréprochable. Il ne faut pas rentrer dans des choses pas très claires éthiquement, c’est très important, assure-t-il. Avec ces trois éléments, il n’ y a pas de raison que ça ne marche pas ». Une éthique qu’il s’est visiblement appliquée lui même pour en arriver là où il est aujourd’hui.