Abdelkader Guermaz : pionnier de l’abstraction algérienne


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Peinture d'Abdelkader Guermaz
Peinture d'Abdelkader Guermaz

Dans le silence des galeries parisiennes comme dans la lumière retrouvée des musées algériens, l’œuvre d’Abdelkader Guermaz résonne aujourd’hui avec une force nouvelle. Cet artiste discret, longtemps relégué aux marges de l’histoire officielle de l’art, émerge désormais comme l’une des figures majeures de la modernité picturale algérienne. Son parcours singulier, entre Oran et Paris, entre figuration et abstraction, raconte une quête artistique profondément personnelle et universelle à la fois.

Des rivages oranais aux horizons abstraits

Né en 1919 à Mascara, dans l’ouest algérien, Guermaz grandit dans l’effervescence culturelle d’Oran, carrefour méditerranéen où dialoguent les influences. C’est là qu’il développe sa sensibilité artistique, embrassant à la fois la peinture, la musique et la littérature. Son entrée à l’École des Beaux-Arts d’Oran en 1938 marque un jalon important : il devient l’un des premiers Algériens à y décrocher un diplôme, dans un contexte colonial où les institutions artistiques restaient largement fermées aux « indigènes ».

Ses premières toiles, exposées à la Galerie Colline d’Oran dans l’après-guerre, portent l’empreinte de la Réalité Poétique française. Paysages, natures mortes et portraits y sont traités avec une sensibilité qui transcende déjà le simple réalisme. Mais c’est à partir de 1955 que sa recherche prend un tournant décisif vers l’abstraction, comme si le langage figuratif ne suffisait plus à exprimer sa vision intérieure.

L’exil lumineux

L’année 1961 marque une rupture dans sa trajectoire. Alors que l’Algérie est en pleine guerre d’indépendance, tout en soutenant son pays Guermaz s’installe à Paris. Dans la capitale française, il intègre les cercles de l’École de Paris et noue des amitiés avec des maîtres de l’abstraction lyrique comme Roger Bissière, Alfred Manessier et Jean Bazaine. Cette période parisienne sera la plus féconde de sa carrière.

Ses toiles se dépouillent progressivement, atteignant une forme d’essentialité. Les couleurs s’apaisent en gammes de blancs, de gris et d’ocres subtils. La matière picturale, travaillée par touches sensibles, crée des vibrations lumineuses qui semblent émaner du cœur même de la toile. Sans jamais tomber dans le didactisme, son œuvre s’imprègne de spiritualité soufie, créant des espaces méditatifs où la lumière devient substance.

« Je ne peins pas ce que je vois, mais ce qui se passe en moi quand je regarde« , confiait-il, résumant ainsi sa démarche qui transforme l’expérience visuelle en expérience intérieure.

L’oubli et la renaissance

Malgré sa participation à des expositions majeures comme « Peintres algériens » à Alger (1963) et à Paris (1964), Guermaz connaît paradoxalement un long oubli en Algérie. Son abstraction contemplative et non narrative détonait. Trop occidental pour certains, trop spirituel pour d’autres, il reste longtemps dans l’angle mort de la critique.

Il faudra attendre les années 2010 pour qu’une véritable réévaluation de son œuvre s’amorce. En 2022, l’exposition « Algérie mon amour » à l’Institut du Monde Arabe de Paris marque une étape importante dans cette reconnaissance, en le présentant aux côtés d’autres modernistes algériens comme Mohammed Khadda, M’hamed Issiakhem ou Baya.

A lire : Dossier sur l’art algérien

En Algérie même, les hommages se multiplient : le Salon national des arts plastiques de sa ville natale porte désormais son nom, tandis que ses œuvres ont rejoint les collections permanentes du Musée national des Beaux-Arts d’Alger et du Musée d’Art moderne d’Oran. Une juste reconnaissance pour celui qui a contribué à forger un langage abstrait authentiquement algérien, en dialogue avec les courants internationaux mais ancré dans une sensibilité propre.

Un langage universel né du silence

Abdelkader Guermaz
Abdelkader Guermaz

Ce qui frappe dans l’œuvre mature de Guermaz, c’est sa capacité à créer un espace de contemplation où le regard peut se perdre et se retrouver. Ses compositions abstraites évoquent tantôt des paysages intérieurs, tantôt des architectures lumineuses qui semblent suspendues dans l’espace. La sobriété de sa palette, où dominent les blancs nuancés, les gris perle et les ocres pâles, crée un climat de recueillement presque mystique.

Loin du fracas des avant-gardes tapageuses, Guermaz a construit patiemment une œuvre d’une rare cohérence. Son abstraction n’est jamais froide ou calculée, mais toujours habitée par une émotion contenue, par une vibration sensible.

La redécouverte de Guermaz, au-delà de la justice rendue à un artiste majeur, invite à reconsidérer l’histoire de la modernité artistique algérienne dans toute sa complexité. Elle rappelle que cette modernité s’est construite dans le dialogue et non dans la rupture, dans la synthèse et non dans l’opposition stérile entre traditions locales et influences internationales.

Pour ceux qui souhaitent approfondir leur connaissance de cette œuvre singulière, un catalogue raisonné en ligne recense désormais ses principales toiles, expositions et publications, offrant aux chercheurs comme aux amateurs un précieux outil de découverte.

Abdelkader Guermaz nous lègue une œuvre qui, par-delà les catégories et les frontières, parle directement à la sensibilité. Dans un monde saturé d’images et de bruit, ses toiles offrent un espace de silence et de méditation, une invitation à la contemplation active.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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