Le contre-pied a été magistral. Ceux qui s’attendaient à ce que le président de la République désigne, vendredi, un nouvel Exécutif — ou reconduire l’ancien — ont eu droit à un tout autre scénario.
Du presque inédit en matière d’usages politiques. Un « gouvernement intérimaire », ou d’intérimaires, a été mis en place pour « expédier les affaires courantes », a annoncé la présidence de la République. Le chef du gouvernement par intérim, Abdelaziz Belkhadem, a été chargé, en outre, par le Président d’assurer l’intérim de son ancien subordonné ministre de l’Education nationale. Il faut dire qu’à ce niveau de responsabilité, une pareille « succession », peu commune, est à verser dans le registre des « bizarreries politiques ». La « dégringolade » de Belkhadem, quand bien même on lui trouverait des circonstances atténuantes (préparation du BEM et du baccalauréat), dénoterait, en tout état de cause, selon des observateurs, du sort presque scellé du patron du FLN : tout juste réduit à expédier les affaires en cours, sans trop d’égards à son statut de représentant de la première force politique du pays. Une descente aux enfers, ou plutôt une « sanction », qui ne dit certes pas son nom, mais qui n’interdit pas un éventuel et spectaculaire retournement de situation. Les nouvelles mœurs politiques étant ce qu’elles sont devenues, personne ne peut jurer de rien.
Seconde annonce de la Présidence : une douzaine de membres de l’ex-gouvernement, parmi laquelle figure le « carré d’as » du Président, Temmar, Khelil et autres, a été chargée de remplacer au pied levé leurs anciens collègues, élus à l’APN. L’argument du cumul de fonctions qui est mis en avant par la présidence de la République pour justifier la reconduction des ministres en question est à peine tiré par les cheveux. En cela que la nouvelle situation, au lieu d’éviter le cumul, le reproduit à un autre niveau. Les « survivants » sont appelés à la fois à exercer leurs anciennes prérogatives départementales et assurer dans la même foulée et en l’absence d’un chef du gouvernement, l’intérim pour les portefeuilles dont ils ont hérité par la force des événements. Une situation des plus rocambolesques.
Un signe de mal gouvernance ?
Pour l’ex-chef du gouvernement, Ahmed Benbitour, le signe n’est pas trompeur. « C’est de la très mauvaise gouvernance », nous dit-il. Une « gestion au jour le jour » qui « déroute les partenaires de l’Algérie » et jette le « discrédit » sur les institutions de la République, constate-t-il. Cette situation, ajoute Benbitour, aurait pu être évitée puisque les élections législatives avaient été planifiées depuis longtemps et le Président avait eu largement le temps de constituer une nouvelle équipe gouvernementale. Inutile, selon lui, de se perdre en conjectures, car « la décision de Bouteflika n’est dictée par aucun calcul politique puisqu’il n’y a pas de cohabitation au Parlement ». Au RCD, un parti qui a fait son come-back à l’Assemblée nationale, « on s’attend au pire désormais », déclare Mohcen Belabès, le chargé de la communication. Selon lui, en désignant une équipe d’intérimaires au gouvernement, le Président a foulé au pied la Constitution. « On a l’habitude, c’est devenu une tradition chez lui », nous lance-t-il. « Depuis trois mois, les entorses à la loi fondamentale se sont multipliées et cela renseigne sur l’état d’esprit régnant en haut lieu. » « Ils sont perdus, désabusés… Ils ne savent plus ce qu’ils font », explique le responsable du RCD.
Une gestion pas du tout « sérieuse » des affaires de l’Etat qui « discrédite » ses institutions. « C’est le fait du prince, le caprice d’un détenteur d’un pouvoir absolu », commente un haut cadre du RND qui a requis l’anonymat. En agissant de la sorte, explique-t-il, le président Bouteflika est resté conséquent avec lui-même et fidèle à sa propre conception du pouvoir, où seul lui « dispose, c’est le cas maintenant, d’une vraie légitimité et de tous les leviers du pouvoir ». Les résultats des élections législatives, qui ont discrédité, selon lui, la classe politique, participent de cette optique. « Le seul vainqueur des élections, c’est Bouteflika, car toutes les autres institutions sont désormais vides de sens », tranche-t-il. D’après la même source, il est illusoire de chercher à expliquer d’une manière rationnelle la décision de Bouteflika.
Le pire est à venir, selon le RCD
La démission de Belkhadem inclut, selon notre interlocuteur, la démission de tout le gouvernement. « A quel titre sont reconduits des ministres qui ne le sont plus dès lors que la démission du gouvernement fut acceptée ? », s’interroge le responsable qui relève la caractère « absurde » et « paradoxal » du cas présent. Qu’en pense Ahmed Ouyahia ? « Rien », répond notre interlocuteur. « Il lui est interdit de penser », car « astreint, comme tous les autres, à subir le diktat du Président, de peur de se voir laminer ». Une source partisane nous apprend, par ailleurs, qu’avant d’annoncer sa décision, le président de la République aurait proposé la chefferie du gouvernement au réformateur Mouloud Hamrouche qui aurait décliné l’offre. Vrai ou faux ? Nul n’est en mesure de le confirmer, du moins pour l’heure.
Au FLN, 24 heures après le camouflet (manifestement un de trop), on est encore à constater les dégâts. « On ose encore espérer que Abdelaziz Belkhadem sera reconduit au poste de chef du gouvernement », souhaite le porte-voix du FLN, M. Bouhadja, sans trop se faire d’illusions. Pour seule explication au « geste » du Président, Bouhadja évoque la visite prochaine du président hongrois en Algérie. Au rythme où vont les choses, l’inquiétude commence à faire son chemin parmi la classe politique, y compris dans le camp des alliés du Président, notamment les partis de l’Alliance, et l’on n’hésite plus à se poser des questions sur les intentions véritables de Bouteflika.
Aziri M, pour El Watan