Les Tchadiens attendent les résultats de la présidentielle du 25 avril dernier boycottée par l’opposition civile. Une démarche que soutient l’un des leaders de l’opposition armée, Abakar Tollimi, le chef de la Concorde nationale de la résistance pour la démocratie (CNRD).
Abakar Tollimi est l’ex-secrétaire général de l’Union des forces de résistance (UFR), une coalition de l’opposition armée tchadienne dont le front uni s’est fissuré depuis août 2010. Afin de poursuivre son combat politique, l’opposant tchadien a lancé un nouveau mouvement politique dénommé Concorde nationale de la résistance pour la démocratie (CNRD).
Afrik.com : L’opposition a boycotté le récent scrutin présidentiel au Tchad dont les résultats sont attendus dans les prochains jours. Que pensez-vous de cette attitude et la soutenez-vous ?
Abakar Tollimi : Les chefs des trois partis (Saleh Kebzabo, Wadal Abdelkader Kamougué et Ngarlejy Yorongar, ndlr) se sont rendus compte que, comme d’habitude, Déby était incapable de se conformer à un accord, notamment celui du 13 août 2007. Cet accord n’a pas été respecté pendant les législatives de février dernier. L’administration s’est trouvée impliquée dans le processus électoral, le parti au pouvoir a utilisé les moyens de l’Etat pour faire campagne, il y a eu des irrégularités au niveau de la représentation des formations politiques dans les bureaux de vote où les observateurs n’ont pas pu se déployer, notamment dans le Nord. Tous ces manquements à l’accord de 2007 ont été relevés par l’opposition lors des législatives. Elle a pris la peine de les signaler à la commission électorale et au Conseil constitutionnel qui a validé ces législatives. Les opposants avaient prévenu que si ces irrégularités n’étaient pas corrigées, ils ne participeraient pas à la présidentielle. Ces derniers ont même rencontré le président Déby qui leur a indiqué que rien ne changerait. Tout cela nous donne raison, nous conforte dans notre choix d’avoir pris les armes.
Afrik.com : Mais l’entreprise n’a pas été couronnée de succès, entre autres, parce que les Français sont intervenus à une certaine époque…
Abakar Tollimi : Nous avons pendant cinq ans essayé de changer le pouvoir par les armes. Il est vrai que la cohésion a manqué notamment quant à l’émergence d’une personnalité qui incarnerait l’opposition. Mais là n’est pas le problème. Il se situe au niveau de la communauté internationale qui condamne unanimement toute opposition armée. Cela renforce les dictatures. On condamne la prise de pouvoir par les armes mais on ne condamne pas la possession et le maintien du pouvoir par ces mêmes moyens.
Afrik.com : Cela change un peu avec la Libye, où la communauté internationale soutient les insurgés, et la Côte d’Ivoire….
Abakar Tollimi : En Libye, des voix se sont élevées pour réclamer que les insurgés soient armés. En Côte d’Ivoire, la rébellion a reçu l’appui de conseillers militaires. Cela nous donne matière à réfléchir sur la façon de faire partir Déby. Comme je le dis toujours, on ne peut le faire partir que par les armes. Il y a 18 ans, Déby affirmait : « Je ne suis pas venu par un avion d’Air Afrique au pouvoir ». Il est venu en combattant. Ce qui veut dire que ceux qui veulent le chasser du pouvoir doivent faire pareil. La communauté internationale choisit ses dictateurs. Maintenant, ça apparaît au grand jour. Là où les intérêts sont manifestes, il faut que le dictateur parte.
Afrik.com : Quelles leçons tirez-vous de votre échec ?
Abakar Tollimi : Nous devons changer de tactique. Les combattants sont aujourd’hui à l’intérieur du pays et il y a un brassage entre eux et les populations, surtout avec les jeunes qui peuvent avoir peur de braver les forces de l’ordre. Ces derniers peuvent être galvanisés par ces combattants qui connaissent le feu et peuvent même prendre la tête des marches. C’est une force et cela représente un espoir. Avec la révolution de Jasmin, ce qui s’est passé à la place Tahrir et ce qui se passe en Libye, on s’aperçoit que les peuples ouvrent les yeux et que la peur a changé de camp.
Afrik.com : Toutes ces révolutions ont été possibles parce qu’il y a un mouvement unitaire dans les pays concernés. Etes-vous capables de dépasser les réminiscences de cette opposition entre le Nord et le Sud qui mine le Tchad depuis des années ?
Abakar Tollimi : Il y a en Afrique des Etats qui sont arrivés à former des nations, notamment en Afrique du Nord. A l’exception peut-être de la Libye où il y a une véritable organisation politique qui s’appuie sur les tribus. Dans d’autres pays africains, la nation n’est pas encore une réalité. Néanmoins, les peuples ont mûri. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, ils sont opprimés et ont compris que la solidarité était nécessaire, qu’il fallait dépasser les considérations tribales, ethniques, religieuses pour aller à l’essentiel : la liberté.
Afrik.com : Un soulèvement populaire est-il possible au Tchad ?
Abakar Tollimi : Je le crois parce que ces 20 ans de pouvoir de Déby ont permis de comprendre qu’il a monté les Tchadiens les uns contre les autres, les tribus du Sud contre celles du Nord, les chrétiens contre les musulmans… Les gens ont envie que cela cesse. L’autre raison tient au fait que 60% de la population tchadienne est jeune. Je dis souvent que la révolution est au bord de la Méditerranée, qu’elle traversera le Sahara et qu’elle finira par toucher les pays qui le bordent.
Afrik.com : Considérez-vous que c’est encore plus probable aujourd’hui avec ces élections présidentielles que l’opposition considère comme une mascarade ?
Abakar Tollimi : Oui, tout à fait. Au désarroi de la population s’est ajoutée la prise de conscience des chefs des grands partis d’opposition qui ont compris la duperie de Déby et qui se sont retirés de la présidentielle. Un scrutin, dont le taux de participation selon nos informations, ne serait que de 15%. Les Tchadiens se sont largement abstenus de voter. C’est peut-être cela qui explique que l’on attende la proclamation des résultats. La commission électorale doit être en train de s’employer à trouver des chiffres qui donnent de la crédibilité à ce scrutin.