C’est un juriste qui a choisi la rébellion pour forcer le changement politique dans son pays. Abakar Tollimi, secrétaire général de l’Union des forces de la résistance (UFR), se bat depuis 2005, les armes à la main, contre le pouvoir d’Idriss Déby Itno. A l’occasion de la parution de son livre, La Résolution des conflits frontaliers en Afrique, aux éditions L’Harmattan, il revient sur la complexité de ces différends et la vie politique tchadienne. Entretien.
Avant d’être le secrétaire général de l’Union des forces de la résistance (UFR), la rébellion tchadienne qui regroupe 8 mouvements rebelles [[L’Union des forces de la résistance (UFR) rassemble des mouvements qui ont signé le manifeste politique du 15 décembre 2008, à savoir le Front pour le salut de la République (FSR), le Rassemblement des forces pour le changement (RFC), l’Union des forces pour le changement et la démocratie (UFCD), l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), l’Union des forces pour la démocratie et le développement – Fondamentale (UFDD – F), le Conseil démocratique révolutionnaire (CDR) et le Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN).]], Abakar Tollimi, 46 ans, est d’abord un juriste. Il a été notamment directeur général de l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (Enam) et servira l’administration publique tchadienne pendant quatorze ans. Puis est venu le temps de la rébellion en 2005 pour le militant de la société civile qu’il était alors. Il fonde ainsi le Rassemblement populaire pour la justice (RPJ), devient, en 2007, le secrétaire général de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), alors principal mouvement rebelle, avant d’être celui de l’UFR depuis 2009. De sa thèse de doctorat en droit public soutenue à Paris I – Sorbonne est né un livre intitulé La Résolution des conflits frontaliers en Afrique qui vient d’être publié chez L’Harmattan.
Afrik.com : Qu’est-ce qui fait la particularité des conflits frontaliers en Afrique ?
Abakar Tollimi : Il faut tout d’abord souligner que les frontières africaines ont été tracées à la va vite à la Conférence de Berlin. Ensuite, les textes et les instruments juridiques sont peu utilisés dans leur résolution, notamment à cause de la dimension politique de ces conflits parce que les chefs de l’Etat y sont fortement impliqués. Ce qui fait également leur particularité, c’est leur complexité. Les causes des conflits frontaliers ne sont pas seulement liées à des causes juridiques, elles se déroulent dans des Etats nouvellement indépendants, jeunes et par conséquent très vulnérables. Pendant plus 20 ans, le Tchad et la Libye se sont disputés la Bande d’Aouzou par groupes militaires interposés. L’inimitié entre les deux chefs d’Etat de l’époque a fait perdurer le conflit en dépit de l’intervention d’autres chefs d’Etat africains. L’Union africaine, alors Organisation de l’unité africaine (OUA), n’a pas pu résoudre le conflit. C’est la Cour internationale de justice (CIJ) qui a statué en définitive. Des présidents qui se détestent, le manque de confiance dans les textes juridiques et des populations qui vivent de part et d’autre de la frontière prises en étau, tout cela fait la la singularité des différends frontaliers sur le continent.
Afrik.com : Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces conflits ont une dimension économique de plus en plus forte ?
Abakar Tollimi : Cela se ressent notamment dans les conflits maritimes. Les frontières ne posent pas problème jusqu’à ce qu’on entreprenne, par exemple, des recherches minières. C’est ce qui s’est passé entre la Guinée et la Guinée-Bissau (en 1978, ndlr) quand une société américaine a commencé à effectuer de la prospection pétrolière dans la mer frontalière.
Afrik.com : Vous expliquez dans votre ouvrage que les Africains ne font pas confiance à la Cour internationale de justice à cause de la perception occidentale du juge, comparable à un dieu étranger à la communauté, alors que pour les Africains, Dieu fait partie de la communauté…
Abakar Tollimi : L’une des raisons d’être de mon ouvrage, c’est la volonté de mettre en avant la nécessité de prendre en compte la dimension anthropologique du droit international. La CIJ traite les cas qui lui sont présentés selon le droit international qui transmet le pouvoir à un juge. Ce dernier décidera qui est gagnant ou perdant : c’est une institution supérieure qui tranche net. Pour les Africains, le juge doit d’abord être un conciliateur, la solution recherchée fait appel à la fraternité. C’est pour cela qu’il faut repenser le droit international en tenant compte des réalités africaines et des praxis. Il faudrait parvenir à une inculturation du droit international.
Afrik.com : Comment les expériences africaines peuvent-elles enrichir la CIJ ?
Abakar Tollimi : Par exemple, dans l’affaire de la péninsule de Bakassi qui a opposé le Cameroun et le Nigeria, il y avait des populations fixées de part et d’autre. Quand la CIJ a tranché en faveur du Cameroun, il a fallu organiser le rapatriement des populations nigérianes fixées dans cette région, les aider à regagner en toute sécurité un nouveau territoire. En Afrique, la terre appartient à celui qui l’occupe et non à l’Etat.
Afrik.com : Quel est le sort réservé aux populations dans les conflits frontaliers ? Ils leur sont étrangers puisqu’ils sont souvent des gens de la même ethnie qui se retrouvent de part et d’autre…
Abakar Tollimi : Elles subissent tout simplement des décisions politiques. On ne leur demande pas leur avis.
Afrik.com : Vous êtes juriste, vous croyez à la toute puissance du droit et par conséquent au règlement pacifique des conflits. Mais au Tchad, votre pays, vous avez choisi la voie des armes. Pourquoi ?
Abakar Tollimi : Je n’avais jusqu’en 2005 aucune intention de prendre les armes. Quand il n’est plus possible de recourir à une forme pacifique de lutte, que sa propre vie est en danger et qu’on aspire au changement dans la vie politique de son pays, il faut recourir à d’autres moyens.
Afrik.com : Si le changement induit par la rébellion n’est pas patent, aurait-il pu être possible en 2008 si l’armée française n’était pas intervenue?
Abakar Tollimi : N’eut été l’appui militaire et politique de la France au régime actuel. Ces dernières années, nous avons appelé à une action plus positive de la France.
Afrik.com : L’opposition civile ne fait-elle définitivement pas ou plus le poids au Tchad ?
Abakar Tollimi : La disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh (Le 3 février 2008, l’opposant et leader du Parti pour les libertés et le développement est enlevé à la suite d’une attaque rebelle manquée contre le régime d’Idriss Déby Itno, ndlr) et porte-parole de la Coalition des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC) qui rassemble l’opposition, a conduit à un fléchissement de la position du mouvement. Les organisations de la société civile sont réduites au silence par le climat de terreur qui règne au Tchad. Le pouvoir utilise à leur encontre tous les moyens de rétorsion dont il dispose. Personne n’y résiste. A l’exception de la rébellion. Face à l’absence d’une opposition civile crédible, la rébellion, la lutte armée, est la seule voie de changement possible au Tchad si l’on souhaite le développement de ce pays qui est endetté dans des proportions inimaginables. Plus de 1000 milliards de F CFA de dettes alors que nous produisons du pétrole et l’exportons depuis 2003. C’est bientôt la banqueroute au Tchad.
Afrik.com : Des élections au Tchad comme le prévoit les accords du 13 août 2007, c’est envisageable ?
Abakar Tollimi : Aujourd’hui, je ne crois pas à l’organisation d’élection en 2011 (avril, ndlr). L’Union européenne compte sur la mise en œuvre de l’accord politique du 13 août 2007 (signé entre le pouvoir tchadien et l’opposition démocratique, ndlr) qui doit permettre l’organisation d’élections, mais nous n’y croyons pas.
Afrik.com : Que vous inspire le cinquantenaire de l’indépendance de votre pays et d’autres anciennes colonies françaises ?
Abakar Tollimi : Les Africains viennent de traverser une période difficile. Au lendemain des indépendances, leurs pays ont été confiés à des dirigeants qui n’étaient pas mûrs. Les années 60-70 sont une suite de la gestion politique coloniale. Au moment des conférences nationales, dans les années 90, c’est une autre évolution qui se fait jour. On a alors vu des hommes avides de changement. Cependant l’espoir est retombé. Autre fait saillant : la loi, au travers des changements constitutionnels, deviendra un instrument de dictature durant la décennie qui suivra. Quand on se compare aux pays asiatiques qui étaient dans la même situation que nous, sinon parfois plus pauvres, on s’aperçoit que le travail est immense. Je pense que ce qui nous manque cruellement, ce sont ces élites qui accompagnent le décollage d’une nation. Il faut que les élites africaines se réveillent pour démontrer que le développement est possible en Afrique. Il est vrai que c’est difficile, car les gens ont peur. Ceux qui bravent les dictateurs sont au mieux maltraités, au pire assassinés.
Afrik.com : La Guinée représente-t-elle l’espoir ?
Abakar Tollimi : C’est un pays qui revient de loin, qui est passé d’une succession de dictateurs à une élection libre et transparente. Il faudrait que l’on puisse prendre exemple sur la Guinée.
Afrik.com : Que souhaite aujourd’hui le secrétaire général de l’UFR ?
Abakar Tollimi : Que cesse la guerre au Tchad, que s’instaure une vraie démocratie, qu’émerge une nouvelle génération de politiques soucieuse du développement du pays, qu’un terme soit enfin mis à la politique du ventre au Tchad.