Les chiffres du gisement pétrolier sud-tchadien donnent le vertige. L’exploitation du champ de Doba et la construction du pipe-line généreront, côté tchadien, d’énormes revenus dont la répartition entre le pays et le consortium a fait l’objet d’un contrat.
Le conseil d’administration de la Banque Mondiale a décidé, en juin dernier à Washington, de donner son accord de financement au projet pétrolier de Doba. Sur l’enveloppe de 3,7 milliards de dollars, 1,5 milliards seront alloués aux travaux d’aménagements sur le champ pétrolier. Les 2,2 milliards restants seront injectés dans l’oléoduc. Enterré, ce gigantesque ouvrage de 1070 km est une sorte de conduite pour le pétrole de son gisement de Doba au sud du Tchad au port de Kribi (côte ouest africaine) au Cameroun.
D’après les études réalisées par les experts, il s’avère que la zone pétrolifère de Doba constitue un des plus importants gisements sur le continent. Les réserves prouvées sont d’environ 924 millions de barils, soit 120 millions de tonnes de pétrole situé entre Doba et Moundou sur les champs de Komé, Bolobo et Miandoum. Dans une interview au Figaro daté du 8 juin 2000, le président Idriss Déby a annoncé pour fin novembre prochain la pose de la première tôle. Un chantier pétrolier de grande envergure, car il s’agira de forer environ 300 puits d’une dimension de 45 mètres sur 60.
Un des plus gros gisements d’Afrique
D’après le rapport d’information publié récemment par la commission des affaires étrangères du parlement français, « l’exploitation globale des réserves prouvées s’étalerait sur une période de 20 à 25 ans avec, dès six mois après l’exploitation, une production annuelle maximale d’environ 11 à 12 millions de tonnes de pétrole, soit 225 barils par jour (36 000 m3) ». Cette exploitation ferait du Tchad le quatrième pays producteur de pétrole en Afrique subsaharienne, après le Nigeria (94mt/an), l’Angola (31mt/an) et le Gabon (18mt/an).
Pas d’impôts jusqu’en 2014
Si l’on s’en tient à l’objectif affiché par le gouvernement tchadien d’utiliser les revenus pétroliers pour éradiquer la pauvreté dans ce pays situé au coeur du continent africain, le tableau de l’or noir est fort séduisant. L’objectif, noble, a presque fait l’unanimité. Concernant l’utilisation effective des ressources du projet Doba, cette adhésion générale se lézarde contre ce que la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) décrit comme » les risques de détournement de la rente (…) élevés, dans un Etat épinglé par Transparency International comme l’un des plus corrompus de la planète, figurant en dernière position de ses palmarès 1998 et 1999. «
Le contrat conclu entre le gouvernement tchadien et le consortium de compagnies pétrolières sous l’égide de la Banque mondiale prévoit, dans le détail, une royaltie de 12,5% sur une valeur de la production exportée et une taxe variable sur les bénéfices du Consortium (de 40% à 65% des bénéfices nets imposables).
Par ailleurs, un cabinet d’expertise mandaté par le consortium prévoit la création de deux à trois mille emplois et un volume total de salaires de 16 millions de dollars.
Cependant, les nombreuses déductions fiscales prévues aux termes de ce contrat (investissements de prospection entre 1969 et aujourd’hui, investissements futurs et de prospection, franchise douanière sur les matériels importés, exonération sur les salaires et revenus rapatriés…) se traduiront, pour le Tchad, par des recettes nulles au titre de l’impôt sur les bénéfices entre les années 2004 et 2014. Ces dix années de production avec franchise d’impôt sur les bénéfices concernent 632 millions de barils, soit 71% de la production totale prévue. Autrement dit, une valeur estimée à 10,2 milliards de dollars issus de la production sera totalement exemptée fiscalement, selon une hypothèse moyenne présentée dans le Project Appraisal Document (Pad, document sur lequel le conseil d’administration devait fonder sa décision). Ainsi, l’impôt sur les bénéfices commencera à entrer dans les caisses du Tchad à partir de l’année 2014.
Une avance de 120 millions de FCFA
Au total, entre 2004 et 2032, l’enjeu financier pour le Tchad ressort à 1, 818 milliard de dollars. Une fois déduit le service de la dette, devrait subsister un revenu net de 1, 758 milliard de dollars. A noter que ces chiffres ont été calculés sur la base d’une valeur moyenne du baril de pétrole de 15,25 dollars. Leur évolution sera donc largement fonction de celle du cours du brut au cours de la période. Une avance de 15 milliards de FCFA (soit 150 millions de francs français) a déjà été consentie par le consortium au gouvernement tchadien. Il est probable que cette somme échappera au contrôle du collège de surveillance des revenus du pétrole.
Certes, les partisans du projet font valoir que les réalisations du pipe-line constituent un équipement tel qu’il permettra au Tchad de mieux négocier l’exploitation de ses futures ressources pétrolières. L’ennui c’est que N’Djamena a d’ores et déjà garanti au consortium, 50 % du pétrole qui jaillira du sol tchadien.
De plus, la réponse à la question principale – le pétrole de Doba peut-il soulager la misère des Tchadiens ? – réside dans l’attitude des dirigeants présents et futurs du pays vis-à-vis de la manne. Le moins que l’on puisse faire, au vu des pratiques avérées du régime Déby dans d’autres circonstances, est d’en douter pour le présent.