À l’est de la RDC, les balles enterrent les promesses de paix


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Soldats du M23 dans les rues de Goma
Soldats du M23 dans les rues de Goma

Alors que des accords venaient d’être signés à Doha et Washington, les combats reprennent avec violence dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, révélant la profondeur de la crise congolaise.

Au matin du 28 avril, à Kaziba, la rumeur courait de bouche à oreille : « Ils sont revenus ». Eux, ce sont les combattants de l’AFC/M23, le mouvement rebelle qui, quelques jours plus tôt, s’était pourtant engagé à « œuvrer pour une trêve » avec Kinshasa. Armés et disciplinés, les rebelles ont repris sans coup férir ce centre stratégique du territoire de Walungu, au Sud-Kivu, balayant la fragile résistance des groupes d’autodéfense wazalendo et des soldats congolais.

Sur place, les témoignages sont unanimes. « Ils sont visibles partout, devant les boutiques, au marché, dans la rue principale », raconte un habitant joint par téléphone. D’autres parlent de colonnes armées descendant des montagnes de Ngando et de Chihumba, renforçant les rangs rebelles avant l’assaut final.

Doha, Washington… et l’illusion diplomatique

Pourtant, il y a moins d’une semaine, la communauté internationale se félicitait de progrès apparents. Le 23 avril à Doha, sous médiation qatarie, le gouvernement congolais et l’AFC/M23 signaient une déclaration commune : promesse de dialogue, engagement en faveur d’une trêve, espoir de désescalade. Deux jours plus tard, à Washington, c’était au tour de Kinshasa et de Kigali — éternels rivaux accusés mutuellement de soutenir des groupes armés — d’enterrer symboliquement la hache de guerre. Une « Déclaration de principes » solennelle, appelant au respect de la souveraineté nationale et à la fin de toute assistance aux milices était signée par les deux parties.

Mais sur le terrain, la dynamique diplomatique s’est fracassée contre la réalité brutale du Kivu : un territoire où les kalachnikovs parlent plus fort que les communiqués officiels, et où chaque cessez-le-feu ressemble à une trêve entre deux tempêtes.

Kaziba : symbole d’une guerre sans fin

À Kaziba, les habitants n’ont guère cru aux accords. « Nous avons vu trop de signatures sans lendemain », murmure Faustin, 42 ans, agriculteur, les yeux rougis par une nuit sans sommeil. Comme beaucoup d’autres, il a fui avec sa famille vers Luhwinja, à une dizaine de kilomètres au sud. Dimanche, vers 16 heures, un renfort rebelle est arrivé des montagnes. Ngando, Chihumba, Kashanga : les positions wazalendo sont tombées les unes après les autres. À Butuzi, Kabembe et Nabumbu, les miliciens ont décroché, emportant avec eux leurs blessés.

La chute de Kaziba est lourde de conséquences. Elle ouvre aux rebelles l’accès aux hauts plateaux de Minembwe, bastion d’autres groupes armés, alliés de l’AFC/M23. Sur ces terres d’altitude, riches en pâturages, se joue une autre guerre : celle de l’ethnicité et du contrôle foncier.

Lire aussi : RDC : le M23 en violation du cessez-le-feu malgré ses engagements

Nord-Kivu : une poudrière au bord de l’explosion

Pendant que Kaziba tombait, au Nord-Kivu, les affrontements se multipliaient. Si les rebelles se sont retirés de Kibati, dans le territoire de Walikale, leur présence reste écrasante ailleurs. Dans le Masisi, vendredi, l’AFC/M23 a croisé le fer avec les combattants de l’APCLS (Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain), un groupe armé d’auto-défense majoritairement Hunde, sur plusieurs axes du secteur Osso Banyungu.

Les affrontements dans le Masisi, grenier agricole du Nord-Kivu, menacent d’embraser l’ensemble de la province. Déjà, les axes stratégiques sont coupés, et les prix des denrées explosent à Goma, la capitale provinciale sous contrôle rebelle depuis fin janvier.

L’histoire bégaie

Depuis plus de 25 ans, l’est de la RDC est ravagé par une succession ininterrompue de conflits, de rébellions et d’interventions étrangères. Le M23 lui-même n’est que le dernier avatar d’une longue série de groupes armés issus de la guerre de 1998-2003, à laquelle avaient participé plusieurs puissances africaines. Chaque tentative de paix — Nairobi, Kampala, Addis-Abeba, Luanda — a buté sur les mêmes écueils : la faiblesse de l’État congolais, les intérêts économiques liés aux minerais, les rivalités ethniques, et l’absence de volonté politique véritable.

En 2022 déjà, la prise de Bunagana par le M23 avait sonné comme un avertissement ignoré. En 2025, malgré les signatures et les poignées de main diplomatiques, le bruit des canons continue de résonner sur les collines du Kivu. « Ici, on sait que les accords de paix se signent loin, mais que les batailles se gagnent ou se perdent sur place », lâche amèrement un notable de Walungu. Tant que la communauté internationale se contentera de communiqués, et que les solutions militaires prévaudront sur les compromis politiques locaux, l’Est congolais risque de rester cet éternel champ de ruines et de promesses trahies.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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