Les poèmes de Mohamed Belkheir ont traversé les âges. Pour se remémorer la vie de ce bédouin des Hauts-Plateaux algériens, né en 1835, poète et meneur d’hommes, il faut se plonger dans ses vers où se côtoient guerre et amour. Grisant.
Les poèmes de Mohamed Belkheir sont enivrants. Ils portent en eux les effluves torrides du désert algérien et les rumeurs des guerriers combattant les colons français. Ils imposent au lecteur leur rythme fougueux et leur langue concise et imagée à la fois. Enfin, s’il parlent d’aventure et de conquêtes, ils chantent aussi l’amour qui ressemble étrangement à un combat où les attributs féminins sont autant de pièges mortels.
Mohamed Belkheir, bédouin des Hauts-Plateaux qui préfère « digne mort à vie déshonorée » et qui ne fuit jamais devant l’ennemi, est né vers 1835 dans la tribu des Rzeigat, à 450 km d’Oran. Il est mort en 1905 après avoir connu le combat contre les colonisateurs, l’exil et la prison. Analphabète, ses poèmes vont pourtant traverser les générations, transmis oralement. Mohamed Belkheir s’exprime dans ses vers dans une « langue authentiquement populaire, imagée, parabolique, parfois même assortie d’un code que les gens du Sud, d’une certaine façon tous des poètes, devinent et reprennent », explique Boualem Bessaïh, le traducteur qui aussi recueilli tous les textes.
Cent chamelles pour un baiser
Les éditions Actes Sud publient en édition bilingue ses quatorze « poèmes de guerre et d’amour », trop souvent méconnus ou ignorés. Ils permettent de découvrir un peu mieux ce poète et meneur d’hommes qui fit de sa vie entière un acte de résistance. Et qui chanta plusieurs femmes : Kheira « bijou d’or » au corps de « neige courant dans la vallée ou blanche chaux des minarets », Melha pour un baiser de qui il donnerait « cent chamelles », Aïcha aux « lèvres fines » et Fatna « amour violent venu de loin d’abord caché puis révélé ».
Et Boualem Bessaïh de conclure sa présentation : « Ce chantre de l’amour, ce mystique déçu, ce résistant nous laissera donc une grande page d’épopée populaire. Ainsi en est-il de son langage. Mots simples d’amour et de guerre : denses, concis, précis. (…) C’est le langage d’une société aux valeurs bédouines, le fusil y est roi. Conscience collective et élective à la fois, où les vertus de courage, de générosité, de franchise, de respect de la parole donnée, placent les hommes à des étages différents ; où le vieillard – ancêtre et expérience – joue le rôle déterminant, justement par le langage. Quel hommage, celui qu’Ibn Badis lui rendra lors d’un passage à El-Bayadh en 1930 : ‘Arabe est sa langue, raffinée sa poésie, exemplaire son combat' ».
Etendard interdit, Poèmes de guerre et d’amour, Mohamed Belkheir, Sindbad Actes Sud.