À Dakar, le boulevard Général de Gaulle devient boulevard Mamadou Dia : une décolonisation symbolique de l’espace public sénégalais


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Mamadou Dia en premier plan
Mamadou Dia en premier plan

Le conseil municipal de Dakar vient de renommer l’un de ses axes routiers les plus prestigieux, pour la réappropriation de l’identité nationale sénégalaise après des décennies d’héritage colonial. La décision de rebaptiser le boulevard Général de Gaulle en boulevard Mamadou Dia a été prise le mercredi 2 avril 2025, lors du Conseil des ministres présidé par le chef de l’État sénégalais, Bassirou Diomaye Faye. Cette annonce a été faite à la veille de la célébration du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance du Sénégal, le 4 avril 2025. 

La capitale sénégalaise a officiellement rebaptisé l’un de ses axes les plus emblématiques au nom de Mamadou Dia, ancien président du Conseil du Sénégal. Cette décision historique, annoncée le 2 avril 2025, porte une forte signification politique et mémorielle. Elle s’inscrit dans un mouvement observé dans plusieurs pays africains, où les figures postcoloniales reprennent progressivement leur place dans le paysage urbain, longtemps façonné par l’héritage colonial français.

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Le boulevard Général-de-Gaulle, artère centrale de 4,5 kilomètres traversant le cœur de Dakar, est désormais officiellement rebaptisé boulevard Mamadou Dia. Cette décision du conseil municipal, adoptée à l’unanimité et saluée par de nombreux historiens et militants panafricains, démontre comment le Sénégal entend désormais valoriser ses propres héros nationaux.

Mamadou-Dia pour la construction d’un Sénégal souverain

La mise en œuvre de cette décision a coïncidé avec les festivités de l’indépendance, marquant ainsi un hommage significatif à Mamadou Dia, figure emblématique de l’histoire politique sénégalaise.

« Ce n’est pas seulement un changement de nom, c’est une reconnaissance tardive d’un homme qui a consacré sa vie à construire un Sénégal souverain », a déclaré Abdoulaye Diop, maire de Dakar, lors de la cérémonie officielle.

Mamadou Dia, compagnon de route de Léopold Sédar Senghor avant de devenir son rival politique, fut un acteur majeur de la marche vers l’indépendance. Président du Conseil du Sénégal entre 1957 et 1962, il incarna une vision politique progressiste et résolument panafricaine. Renversé et emprisonné à la suite d’un différend constitutionnel avec Senghor en décembre 1962, il passa plus de douze années derrière les barreaux, avant d’être progressivement réhabilité dans la mémoire nationale.

Pour la municipalité dakaroise, ce changement symbolique s’inscrit dans une démarche de « réappropriation historique » et de refonte de l’espace urbain. « Mamadou Dia a été trop longtemps effacé de notre récit collectif. Ce boulevard portera désormais le nom d’un homme qui a défendu une Afrique souveraine et solidaire », a souligné le maire.

Une dynamique continentale de décolonisation des espaces publics africains

Cette initiative symbolique de Dakar fait partie d’un mouvement plus large de décolonisation de l’espace public, amorcé dans plusieurs capitales africaines. De plus en plus de villes choisissent de débaptiser les rues et monuments qui portent encore les noms de figures coloniales, pour les remplacer par ceux de leaders nationaux ou panafricains.

Au Burkina Faso, la capitale Ouagadougou a depuis plusieurs années engagé une refonte complète de ses noms de rues. Plusieurs artères autrefois dédiées à des administrateurs coloniaux français ont été renommées en hommage à Thomas Sankara, Norbert Zongo ou encore Mariam Sankara. A Ouagadougou c’est aussi le boulevard Charles de Gaulle qui a été renommé Boulevard Thomas Sankara.

En Afrique du Sud, le processus a pris une ampleur particulière après la fin de l’apartheid. Pretoria, Le Cap ou Durban ont toutes rebaptisé des artères importantes en l’honneur de figures comme Steve Biko, Nelson Mandela ou Albertina Sisulu. Cette reconfiguration du paysage urbain vise à panser les blessures mémorielles d’un passé douloureux pour les populations locales.

Même dans des pays anglophones comme le Ghana ou le Nigeria, cette volonté de revisiter les noms des lieux publics s’affirme avec force. À Accra, la « George Street » est devenue « Kwame Nkrumah Avenue », tandis que Lagos a renommé plusieurs axes majeurs en mémoire de leaders indépendantistes.

« Les noms que nous donnons à nos rues ne sont pas anodins, ils reflètent nos valeurs et notre vision de l’histoire », nous explique une historienne à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Remplacer de Gaulle par Dia, c’est replacer notre propre narration nationale au centre de notre quotidien. »

Une mémoire collective en reconstruction : entre histoire et identité contemporaine

La démarche engagée par la ville de Dakar illustre les tensions persistantes entre passé colonial et affirmation identitaire contemporaine. Le changement de nom du boulevard Général-de-Gaulle ne vise pas à effacer l’histoire des relations franco-sénégalaises, mais plutôt à redonner une visibilité à une autre mémoire – celle de Mamadou Dia, longtemps reléguée à la marge du récit officiel.

Cette réhabilitation symbolique s’accompagne d’ailleurs d’un travail pédagogique, avec l’installation de panneaux explicatifs le long du boulevard pour informer les passants sur le parcours de ce leader politique. Les jeunes générations doivent pouvoir grandir dans un environnement qui célèbre aussi leurs propres héros explique un habitant.

Cette relecture critique de l’histoire à travers l’espace public rappelle que la mémoire n’est jamais figée, et que les noms que l’on donne à nos rues et monuments témoignent toujours de la société que l’on aspire à construire.

À Dakar, le processus ne s’arrêtera pas au boulevard Mamadou Dia. La municipalité a déjà annoncé un programme plus vaste de révision des noms de rues, avec la création d’une commission spéciale associant historiens, urbanistes et représentants de la société civile.

D’ici 2026, une trentaine d’autres artères de la capitale sénégalaise pourraient ainsi être rebaptisées, dessinant progressivement une nouvelle cartographie urbaine plus ancrée dans l’histoire et les valeurs sénégalaises.

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