C’est souvent, quand ce n’est pas toujours. Ca chante ! Mama Céline, les enfants, les familles, les coqs… La première fois que j’ai entendu « Sunga Ngai » c’était en décembre 2011, dans un salon de coiffure à Tchimbamba. Tu ne peux pas te tromper, c’est juste la ruelle d’avant. Ecrit sur la pancarte : » Hopeful Coiffure – Tresse, tissage, chignon et … broching (!) « . Ornella et Eve sont comme toutes les filles dans les salons : Elles chantent. Tu me demandes comment elles chantent : Comme elles respirent ! Février 2012 est cette seconde fois, dans l’arrondissement de Mvou-Mvou. Une église. Au fond du quartier Matendé. Junior qui se déhanche au micro, d’autres garçons à la basse, batterie, claviers et guitares électriques ! L’église est grave ambiancée et moi comme à Hopeful Coiffure, en mode recording sur la caméra.
(De notre correspondant)
La troisième est là et maintenant. Dans la cour. Là et maintenant en Lingala dans la bouche de Naomie : » Na sima ba nguna na ngai , liboso mitambo na bango, nzela ko kima na yebi te, na bombami na yo « … J’aime vraiment. Naomie a un léger cheveu sur le bout de la langue et ça ajoute à la chanson – qui implore le Seigneur – une certaine fragilité. » Tu voudrais la chanter pour moi ? Je veux dire l’enregistrer pour…? « . Je n’ai pas fini ma phrase et elle a déjà dit oui. Le reste va de fil en aiguille, par terre, à même le sol : La mwambe (Tu connais la mwambe ?), Mama Céline, les familles et les gamelles ! » Vas y, prends en encore ! Faut manger ! Prends aussi du riz ! « … Et c’est toute la parcelle qui dit oui quand je finis mon assiette, quand je ne finis pas ma phrase. » Ca pourrait ressembler à un documentaire qui… »
Tchimbamba PN 242. J’ai trouvé le titre beaucoup plus tard parce que je ne trouvais pas de titre pour exprimer ce qu’est simplement la vie. PN pour Pointe Noire. 242 pour la République du Congo. Voilà, tu connais mon adresse africaine, celle de Naomie, celle du quartier. La nuit, je dors. Chez mes frères. Attenante à la villa : Une chambre indépendante avec la climatisation, une salle d’eau, les toilettes et c’est un monde d’écart avec les cabanes en planche à une dizaine de mètres presque en face. De cette chambre, à entendre au loin, pas de parloirs sauvages : Les coqs à pleins poumons, les avions qui décollent dans mon dos et qui passent bas dans le ciel, les chants de maternelle et primaire de l’école « Elite de la Nation ». Voilà la bande son qui me fait office de réveil matin. Au petit dèj’ et pour faire simple, quelques « Fine » vertes et des cafés en poudre…
Tu le sais, je n’aime pas écrire ce que je donne mais j’écris malgré tout, sortis des deux fois vingt trois kilos, quelques « Jeux de cartes 7 familles ». Grand-père, grand-mère, père, mère, fils et fille. En une simple poignée de secondes, Naomie et les autres enfants ont compris les règles. Un doute plane quant à savoir si aujourd’hui j’ai su comprendre les leurs. Soeur, frère, papa, tonton ont ici une autre résonance. Parfois, je m’y perds. Que sais-je ? Naomie est née d’un père « irresponsable » – comme ils disent – affaire classée sans suite par une mère appelée Chance qui vit aujourd’hui ailleurs, près de la frontière Angolaise si, dans le fond, ma mémoire est bonne. Dans la cabane de Mama Céline vivent aussi les deux frères de Naomie : Cookel et Yaviche. Sa petite soeur aussi, Kelly. D’autres enfants encore, Paule-Grace et Pétronie. Dans la parcelle, 7 autres familles. Qui deviendront mes familles de coeur !
Avec les coqs, les avions et les chants d’école, Mama Céline, qui parle fort quand elle oublie de crier, fait aussi partie de la bande son. Au mixage final, j’achèterai un peu de silence, si ça existe à Ponton La Belle. Mais longtemps avant le mixage final il me faut tourner la première séquence de ce documentaire à l’arrache. Je te raconte. Ce n’est rien qu’une partie de football et un ballon qui se crève à rouler dans la ruelles entre pieds nus et tongs. Géraude marque d’une talonnade entre deux parpaings. Armani s’ouvre le pied sur une pierre. Mama Céline soigne le pied ouvert et le manucure ambulant qui passait dans la parcelle pose comme il peut le pansement. C’est comme ça, il y a toujours un esthéticien de fortune qui sillonne les rues, qui s’invite aux parcelles, parfois ce sont des enfants, les « Bana Ya Vernis ». Ongles des mains et des pieds parfaits contre 2 ou 3 billets de 100.
« Qu’est-ce qu’on doit faire ? » me demande la parcelle. J’ai dû répondre un truc du genre comme vous voulez ou alors comme d’habitude. Je ne sais plus. » Ah si, ne dites pas des mots comme Philippe, filmer ou caméra « . Et je me suis tué à le dire ! Jusqu’à ce plusieurs soleils se lèvent, que la vie devienne aussi vraie que nature, une vie ordinaire. Sans ordonnance et sans même l’ombre de la caméra serrée dans mon poing . J’avale un jus qui peut vouloir dire avec indifférence Coca Cola ou Fanta ou autre chose, peu importe pourvu que ce soit sucré et sans alcool. J’avale un jus, Nadège allaite son enfant, Mama Céline fait une lessive, Naomie puise de l’eau pour aller se laver là-bas derrière, Cookel regarde la télévision… J’avale un jus dans la parcelle et j’aspire une Fine verte. Ils m’ont oublié.