3A Télésud : la fin d’une chaîne panafricaine ?


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La chaîne de télévision panafricaine 3A Telesud nage en eaux troubles. Un conflit entre associés menace l’existence du média créé il y a près de 10 ans. « Les historiques » s’opposent aujourd’hui à Eric Benquet, principal associé de la société Wiam, propriétaire de la marque 3A Telesud.

Le torchon brûle entre les associés de la télévision « afro-européenne » 3A Telesud, au risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Un bébé, déjà fragilisé, qui se trouve dans le collimateur du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour non respect de son cahier des charges. Depuis septembre 2007, le franco-gabonais Eric Benquet se trouve à la tête des trois quarts du capital de l’entreprise française. Le reste se répartissant entre Yves Bollanga et Sylvie De Boisfleury, actuelle directrice d’antenne de 3A Telesud, qui représentent « les historiques de la chaîne ». Le groupe inclut également Constant Némalé, ancien directeur de chaîne et actuel patron d’Etnium, la régie commerciale de la télévision, et Pierre Bedou, directeur des programmes.

Les investisseurs ont pris le pas sur les fondateurs

L’aventure commence pour « les historiques » en 1998. Le média est alors la propriété de TSA (Télévision par Satellite pour l’Afrique) détenue, entre autres, par feue Elise M’Packo, Pierre Bedou et Constant Némalé. Telesud n’émet alors que dans l’Océan Indien et plus tard sur le Net. « Début 2002, TSA a eu des problèmes financiers à cause d’un conflit entre associés. L’un d’eux refusait l’entrée dans le capital d’un fonds d’investissements », se souvient Jean-Luc Beis, ancien gérant de TSA, gérant, puis co-gérant depuis le 1er mars 2007 de la Sarl Wiam (Wireless and Internet Afromedia). Cette société, enregistrée au greffe du tribunal de commerce le 25 janvier 2002, a pris le relais de TSA dans l’exploitation de la marque 3A Telesud. Yves Bollanga, Daniel Beck, Jean-Yves Barrère, une société britannique et Sylvie De Boisfleury sont les associés de la nouvelle structure et s’en partagent les cent parts sociales. Cette configuration sera appelée à évoluer du fait des problèmes financiers rencontrés par l’entreprise et des tensions entre associés aux visions et opinions divergentes.

Le 7 janvier dernier se produit un incident qui reflète les relations tendues qu’entretiennent les propriétaires de la télévision depuis des semaines. Pierre Bedou se voit interdire l’entrée de la chaîne pour la deuxième fois, à coup de renforts policiers. De fait, ce serait une réunion sur la gestion de l’entreprise, tenue le 26 décembre, qui aurait donné le coup d’envoi « d’une politique de vexations, d’un jeu d’influences, d’une purge, note une source bien informée proche des fondateurs du média ». « Babylas Boton, poursuit cette dernière, un familier de Pierre Bedou, créateur et animateur de « Arrêt sur info », une émission phare de la grille des programmes, s’est vu ainsi écarté de la présentation de celle-ci pour être remplacé par un stagiaire et une de ses assistantes ». Une « purge » dont serait également victime le directeur des programmes. « Ils ont changé les clés après cette réunion qui s’est mal passée, explique-t-il. Ils ont mis un vigile et établi une liste de noms de personnes autorisées à pénétrer l’enceinte de 3A sur laquelle je ne figurais pas. Je me suis tout de même permis de rajouter mon nom, bien que ne pouvant pas prouver mon identité puisque j’avais perdu mes papiers et que j’entreprenais des démarches pour les refaire. J’en avais par ailleurs averti les gérants ».

Un homme providentiel qui n’aurait pas investi dans son acquisition

Pierre Bedou, le directeur des programmes est en effet sous le coup, précise-t-il, « selon un courrier daté du 27 décembre 2007, remis sur son lieu de travail par un huissier en mon absence des locaux de la chaîne, d’une mise à pied à titre conservatoire ». Le courrier le convoque également à un entretien prévu pour le 4 janvier, alors que, dit-il « la lettre recommandée avec A/R a été envoyée le 2 janvier selon le cachet de la poste et que l’avis de passage que j’ai reçu indique que le courrier est mis à disposition à compter du 4 janvier ». « Comment aurais-je pu me rendre à un entretien dont je ne suis informé de la tenue que le jour où il est censé avoir lieu ? », s’indigne Pierre Bedou. En outre, assure-t-il, « j’assume totalement ce qui m’est reproché, en l’occurrence d’avoir signé un contrat d’échanges marchandises avec la compagnie aérienne suisse Swiss +. On ne nous donne pas les moyens de travailler, même après les courriers que nous avons fait à la direction (le dernier qu’il montre date d’août 2007, ndlr). Et quand on essaie de trouver les moyens, on nous dit qu’on a commis une faute grave ! Je suis directeur des programmes, mes collaborateurs s’en remettent à moi pour que je trouve les ressources pour leur permettre de faire leur travail. Un journaliste avait besoin d’aller au Cameroun pour un reportage. En signant ce contrat, j’ai fait en sorte de lui donner les moyens de faire ce pour quoi il est payé. »

Le principal grief du directeur des programmes contre Eric Benquet se résume en ces termes : « il nous a permis d’éponger les dettes mais ne nous a pas donné les ressources financières nécessaires pour faire fonctionner la chaîne. S’il l’avait fait, il aurait eu le droit d’imposer ses quatre volontés. Il n’est d’ailleurs qu’un porteur derrière lequel se trouve des intérêts beaucoup plus influents qui veulent s’arroger un média panafricain qui commence à bénéficier d’une certaine notoriété ». « Je mets au défi, poursuit Pierre Bedou, la direction de 3A de me montrer, ne serait-ce qu’une ligne budgétaire pour achat de programmes. Tant que la chaîne tenait à un groupe d’amis dont faisait partie Jean-Marie Kassamba (ancien journaliste de la chaîne, ndlr), il n’y avait pas de problème parce qu’on avait choisi de vivre comme ça. Je suis un directeur des programmes qui gagne à peine 1200 euros nets par mois. Je n’ai même pas reçu mon salaire de décembre que je n’ai pas non plus réclamé ».

« Eric Benquet est un actionnaire qui veut assainir ses comptes »

C’est en 2006 qu’Eric Benquet devient le principal associé de la télévision. Le businessman est alors l’homme providentiel car le media est proche du dépôt de bilan. « En 2004, Jean-Yves Barrère s’éloigne un peu du projet, raconte Jean-Luc Beis, et cède ses parts à Daniel Beck qui détient dorénavant près de 50% du capital. Entre-temps, 3A Telesud monte sur le satellite, l’équipe opérationnelle animée par Constant Némalé commence à exister un peu, à générer du chiffre d’affaires en réalisant des publi-reportages pour quelques Etats africains. Mais cette expansion suppose aussi de nombreuses dépenses. Notre diffusion par satellite, Hotbird 6 sur l’Europe pour l’essentiel, coûte 500 000 euros par an. Il faut donc impérativement trouver de nouvelles ressources. Par ailleurs, les engagements pris vis à vis de personnes contactées à l’origine par Constant Némalé, validé par la majorité des associés, pour investir dans la chaîne n’ont pas été tenus, d’où un conflit avec Daniel Beck qui considérait qu’ils devaient l’être ». Le couperet finit par tomber. « J’accepte de reprendre la gérance dans le but de résoudre les problèmes en cours, poursuit Jean-Luc Beis (il est nommé gérant le 6 septembre 2006, ndlr). Je prends un cabinet comptable et, en 3 jours, il peut constater que la société est au bord du gouffre. Les associés ont 15 jours pour trouver les fonds nécessaires. Le matin de l’AG, le 27 octobre 2006, Constant Némalé propose un nouvel associé : Eric Benquet. Il devient propriétaire de 51% des parts de Wiam ».

Eric Benquet, joint par téléphone la semaine dernière aux Etats-Unis, n’a pas voulu s’exprimer sur cette affaire, estimant que les plus habilités à le faire étaient les gérants. Jean-Luc Beis, qui est l’un d’eux, donne quelques pistes pour comprendre la position de l’investisseur. « Bien qu’étant associé majoritaire depuis octobre 2006, Benquet ne s’est pas immiscé dans la gestion de l’entreprise. Puis, en regardant de plus près la chaîne, il a commencé à s’agacer de devoir faire un chèque tous les mois sans constater d’amélioration de la programmation. Un énorme conflit est né entre lui, qui attendait que la situation de l’entreprise s’améliore, et des opérationnels qui avaient, certes, fait un travail remarquable avec peu de moyens mais qui considéraient de ce fait n’avoir aucun compte à rendre.» Jean-Luc Beis considère que l’homme d’affaires gabonais « a porté à bout de bras une chaîne managée par des gens, un groupe affectivement lié fonctionnant sur un mode associatif, qui n’ont pas fait bougé les choses ». En d’autres termes, conclut-il, « Eric Benquet est un actionnaire qui veut assainir ses comptes et attend un minimum de résultats face à ses investissements». La source proche des fondateurs, elle, parle plutôt de stratégie « pour évincer les membres fondateurs du staff afin de pouvoir gérer la chaîne à sa guise ».

Prêts à «casser la chaîne»

« Les historiques » craignent également une mainmise sur la chaîne de grands groupes qui opèrent sur le continent par le biais de l’actionnaire principal. Le nom de Bolloré revient souvent dans les conversations. « Benquet est convaincu, affirme Jean-Luc Beis, une approche que je partage totalement, que la présence d’un partenaire industriel, professionnel des medias serait positive pour le développement de la chaîne. Mais il est souhaitable que cette participation reste cantonnée à un niveau minoritaire, pourquoi pas 15%.» Le co-gérant reconnaît que des groupes, comme Bolloré et Bouygues qui opèrent déjà sur le continent, peuvent être intéressés par un média panafricain. « Bolloré, note-t-il, ce n’est pas neutre en terme d’image, c’est un risque. Mais ce ne serait quand même pas la même chose que d’avoir un Etat, la Lybie de Khadafi par exemple, comme investisseur. » « Nous avons toujours voulu être indépendants de grands groupes, insiste la source proche des instigateurs du projet Telesud, afin de garder une certaine crédibilité ». Une crédibilité déjà entamée par les nombreux publi-reportages que produit la chaîne au futur rendu incertain par ce nouveau conflit.

Jean-Luc Beis considère que « le point de non-retour a sans doute été atteint » tout en n’excluant pas un miracle. « Je ne vois pas comment les choses pourront s’arranger entre les différents associés ». Le co-gérant, qui rappelle avoir été impliqué dès ses débuts dans la vie de la télévision, « même si certains ne le lui reconnaissent pas », a une idée très précise de ce que pourrait être l’actionnariat idéal de 3A Telesud. « Moins de Cinquante pour cent du capital réparti entre un fonds d’investissement, représentatif d’intérêts africains, éventuellement publics, et un industriel européen ou sud-africain, professionnel des médias, le reste – une majorité – serait répartie entre Eric Benquet et les fondateurs ». En attendant, « c’est le pot de terre contre le pot de verre, David contre Goliath. Mais ce sont les petits qui font tomber les grands », souligne Pierre Bedou. Le directeur des programmes de 3A Télésud, à l’instar des fondateurs de la chaîne, assure qu’il est prêt à « défendre ses droits, à combattre pour que 3A garde un minimum d’intégrité ». Sinon, avertit-il, faisant écho à ses compagnons de galère, « on casse la chaîne ».

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