1956-2006 : Que reste-t-il des intellectuels noirs ?


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Couverture Respect Mag n°13

19 septembre 2006, amphi Descartes, la Sorbonne. Cinquante ans jour pour jour après l’ouverture du premier Congrès international des écrivains et artistes noirs. Cinquante ans pour quoi faire ? Cinquante ans, et après ? Quatre jours anniversaires pour confronter les points de vue. Respect Mag a tout vu, tout entendu. Et tout analysé.

Par Hélène Ganzmann et Abdelkrim Branine

Même décor, mêmes fresques classiques aux murs, mêmes boiseries, mêmes rayons de soleil qui percent et viennent éblouir cette réunion. Même éloquence de la part des intervenants, quelques rides en plus. Entre-temps, certains ont trépassé et manquent cruellement : Alioune Diop, celui sans qui ce premier Congrès international des écrivains et artistes noirs n’aurait peut-être jamais eu lieu. Senghor, Fanon, Cheikh Anta Diop. D’autres n’ont pu faire le déplacement mais s’y associent : Mamadou Dia, 95 ans, à l’initiative de Présence Africaine, de la Société africaine de culture et donc, lui aussi, du fameux rassemblement de 1956. Aimé Césaire, présent grâce au miracle de la technologie vidéo, peut délivrer son message : « Nous devons être conscients de notre identité et connaître les difficultés que nous rencontrons. Il nous faut continuer la lutte avec doigté et intelligence. L’état de l’Europe m’inquiète, mais plus encore notre situation à nous. Il n’empêche qu’il faut continuer dans cette voie : ne pas tomber dans un racisme à l’envers, aspirer à une fraternité universelle. La mise en valeur de notre propre culture est importante, l’ouverture aux autres l’est également. »

Notre identité, notre culture. Celles des Noirs d’Afrique, des Caraïbes et de toute la diaspora. Celles de leurs intellectuels, utopistes de 1956, qui rêvaient d’un monde dans lequel plus aucune civilisation ne serait niée, pas plus la négro-africaine qu’une autre. Alioune Diop, 1956 : « Il y a une série de jugements, de goûts et d’habitudes, dans la civilisation occidentale, qui ne reçoivent leurs fondements que dans la dépréciation de l’homme noir. Il s’agit de mythes forgés par la colonisation que les Occidentaux doivent surmonter pour avoir une vision de l’Afrique plus appropriée à la réalité. » S’unir pour prouver au monde entier que les Africains ne sont pas des peuples sans passé. Montrer qu’ils sont capables de prendre leur destinée en main. Et prêts. « Mes frères africains, ne vous laissez pas donner votre indépendance. Prenez-là ! » s’exclame à l’époque à la tribune Gérard Bissainthe, Haïtien, donc émancipé depuis 1804…

Médiatisation (presque) zéro

Car voilà bien le véritable changement, le contexte. 1956 : certains congressistes n’hésitent pas à qualifier leur réunion de « Bandoeng culturel » [1]. Pour Senghor, il faut « faire de la culture une puissance de libération ». Moins de cinq ans après, la grande majorité des colonisés du monde noir accède à l’indépendance. Fin de l’histoire ? Fin du combat ? Loin de là… 2006 : la mondialisation fait rage. Et avec elle, l’uniformisation, la pensée unique et l’accroissement des inégalités.

Quel rôle peuvent alors jouer les élites noires ? Quelles places veut-on bien leur laisser ? À elles, qui voudraient enfoncer les portes et crier à la face du monde leurs solutions, leur voie. Les a-t-on vraiment écoutées depuis cinquante ans ? Leur a-t-on donné un espace de parole ? Sont-elles parvenues à s’en créer ? À toutes ces questions, la vieille garde a cherché à répondre ce septembre 2006 : René Depestre, Édouard Glissant, Christiane Diop, veuve et bras droit d’Alioune. Et avec eux, la relève : le prix Nobel de littérature Wole Soyinka, Henry-Louis Gates Jr, ou encore Henri Lopes. Discussions, réflexions… entre intellectuels nègres : une autre différence de taille par rapport à 1956. À l’époque Gide, Sartre, Camus, Monod soutiennent le mouvement. Picasso dessine le portrait d’un homme noir, devenu l’affiche officielle du congrès. En 2006, pas un intellectuel occidental ne fait le déplacement de Paris. La médiatisation ? Quelques caméras, quelques micros qui traînent, mais des journalistes exclusivement attachés à des rédactions sensibles aux questions de diversité et d’africanisme. En 1956, le journal Le Monde relatait l’événement. Certes, en des termes peu élogieux, mais il ne passait pas inaperçu. Mépris ? Négation volontaire ? Ou manque d’aptitude à persuader et convaincre ? Autant de questions auxquelles la future génération aura sans doute à répondre en 2056, pour le centenaire du congrès. Ou bien avant, souhaitons-le.

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