La Cour pénale internationale célèbre mardi 11 mars l’entrée en fonction de ses juges, étape capitale avant l’élection de son procureur, le 24 avril prochain. Retour sur cette institution exceptionnelle qui ne devrait être opérationnelle qu’en 2004.
La Cour pénale internationale (CPI) célèbre ce mardi 11 mars l’entrée en fonction de ses juges. 143 Etats ont signé le Traité de Rome, en 1998. Parmi eux, 89 l’ont ratifié – dont 22 pour le continent africain – et sont considérés comme » Etats-parties « . Leurs représentants ont désigné, après maintes discussions et 33 tours d’élection, les 18 juges appelés à statuer. C’est la dernière ligne droite avant la mise en place d’une justice indépendante et universelle. Le 24 avril, les Etats-parties se réuniront à nouveau pour élire le procureur de la nouvelle institution.
Centrafrique, Côte d’Ivoire… L’invocation de la CPI a été permanente ces derniers mois. Pourtant, il faudra du temps avant de voir les effets d’une justice internationale. Apte à juger les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les actes de génocide, la Cour devrait être efficace début 2004. On évoque déjà le chiffre de quelque 200 plaintes s’accumulant sur le bureau du futur procureur. La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a récemment déposé un dossier concernant les exactions de Jean-Pierre Bemba (chef rebelle congolais) et d’Abdoulaye Miskine, mercenaire à la solde d’Ange-Félix Patassé, coupables de pillages et de viols massifs en Centrafrique lors des combats contre la rébellion du général Bozizé.
Pas d’immunité
» On ne dépose pas réellement de « plaintes » au sens propre auprès de la CPI. On appelle cela une saisine formelle de la cour. Le dossier que nous avons déposé permettra au procureurd’ouvrir une procédure, s’il estime que cela est nécessaire. Les Organisations non gouvernementales (ONG) et la société civile ont seulement la possibilité d’attirer l’attention du procureur sur certaines exactions « , explique Marceau Sivieude, responsable Afrique ad interim de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Pour lui, la constitution de la CPI marque une étape importante vers plus de justice. Son organisation a jugé Ange-Félix Patassé » responsable des crimes commis en tant que supérieur hiérarchique » de Jean-Pierre Bemba. » La grande force de la CPI, c’est qu’il n’y a pas d’immunité. Personne ne pourra y échapper, pas même les chefs d’Etat. »
La procédure amorcée par la FIDH est un peu spéciale, car la République centrafricaine a ratifié le traité de Rome et s’est donc constituée Etats-partie. Il n’en va pas de même par exemple en Côte-d’Ivoire, pays où l’on entend beaucoup, ces derniers temps, invoquer le spectre de la justice internationale. Abidjan n’a pas ratifié le traité. Mais ses ressortissants ne sont pas hors d’atteinte de la cour : ils pourraient avoir à se soumettre au jugement de la CPI, sur saisine par le Conseil de sécurité de l’Onu. Comme beaucoup de membres de la société civile, Jean Follana, président de la coalition des ONG françaises pour la justice internationale et responsable juridique pour Amnesty international, est confiant : » La Cour pénale ne dépend pas de l’Onu même. Elle peut être saisie par le Conseil de sécurité des Nations Unies et elle profitera de son budget. C’est une force à part entière qui pourra traiter d’affaires majeures, partout dans le monde. » Pour lui, » on sortira de l’auberge le 24 avril « , dès que le procureur sera élu.
Zones d’ombre
Des zones d’ombre entourent pourtant encore le fonctionnement de la Cour. On est loin d’une justice toute puissante. Certains pointent quelques articles du traité fondateur de la CPI susceptibles d’introduire une justice à deux vitesses. L’article qui permet au Conseil de sécurité, sur un vote à la majorité, de suspendre une procédure pendant un an, renouvelable, par exemple. Ou encore le droit pour les Etats de s’accorder un délai de sept ans pour le jugement de leurs ressortissants coupables d’exactions dans le cadre d’une guerre. Les Ong voient aussi d’un mauvais oeil l’ensemble des accords que Washington passe avec différents pays pour éviter à ses ressortissants d’avoir affaire à la justice internationale. Enfin, alors que le Rwanda et les Etats-Unis viennent justement de signer une accord garantissant qu’aucun citoyen américain ne serait transféré devant la CPI, certains soulignent la lenteur et les difficultés du Tribunal pénal international d’Arusha (TPIR).
» Le TPIR nous a montré les limites des tribunaux ad hoc. Trop proches du terrain et des contextes politiques régionaux, ils en sont demeurés, dans une certaines mesure, prisonniers. Ce ne sera pas le cas de la CPI « , affirme de son côté Jean Follana. Au siège international de la coalition des ONG françaises, on fait écho à cette confiance : » D’une part, le TPIR ne marche pas si mal que cela. D’autre part, la CPI saura tirer les leçons de cette expérience « , assume Alphonse Nkunzimana,. Et lorsqu’on lui fait remarquer qu’aucun pays d’Afrique du Nord n’a encore signé le traité de Rome, ce responsable du pôle Afrique à la coalition internationale des ONG pour la CPI met en avant son important travail de lobbying… Petite indiscrétion : » Le Maroc et l’Egypte ne devraient pas tarder à ratifier le traité. » Son organisation regroupe plus de 2000 ONG, dont près d’un quart proviennent du continent. Une preuve, s’il était besoin, de l’importance de la CPI pour l’Afrique.
Elire le procureur
Le choix des juges lui fait d’ailleurs honneur. Sur dix-huit, trois en sont originaires : la Malienne Fatoumata Dembele Diarra (élue pour 9 ans), le Ghanéen Akua Kuenyehia (3 ans) et la Sud-africaine Navanethem Pillay (6ans). Le curriculum vitae de cette dernière corrobore les analyses des ONG. Son dernier poste était basé à Arusha, où elle présidait le TPIR, et ce n’est sans doute pas un hasard. Il n’y a donc plus qu’une étape avant la mise en place définitive de la CPI. Le 24 avril, on élira le procureur. Doit-on croire aux rumeurs qui placent Carla Del Ponte, actuelle procureur du TPI, en bonne position pour le poste ? » A un mois des élections, ce ne sont pas des prévisions, c’est de la politique-fiction « , commente Jean Follana.