A l’occasion du cinquantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961, marches, livres, expositions, reviennent sur ce drame longtemps occulté. Un webdocumentaire également, « Le 17 octobre 1961, la nuit oubliée », en libre-accès sur le Net, lui est consacré. Un film signé Olivier Lambert et Thomas Salva, dont l’ambition dépasse le cadre du documentaire : l’idée est de créer une plate-forme interactive autour de la mémoire de cet évènement. D’autres manifestations commémoratives sont prévues aujourd’hui. Avec le même dessein : la reconnaissance officielle de ce massacre par la France.
17 octobre 1961. Des milliers d’Algériens musulmans ont répondu à l’appel du Front de libération nationale (FLN) algérien à manifester à Paris contre le couvre-feu discriminatoire qui leur est imposé. La répression sera sanglante. Sur ordre du préfet de police Maurice Papon, les forces de l’ordre vont passer à tabac les manifestants. D’autres seront jetés dans la Seine. Des centaines d’Algériens trouveront la mort cette nuit-là. Dans l’indifférence la plus totale. Dès le lendemain, un « mensonge d’état »se met en place. Les autorités françaises évoquent un règlement de compte entre Algériens.
» Les morts sans sépulture de la Seine nous interpellent »
50 ans plus tard, grâce aux travaux d’historiens français et algériens, la vérité a été rétablie. Mais la France n’a toujours pas reconnu, officiellement, sa responsabilité dans ce massacre. Un des épisodes les plus sombres de l’histoire française qui reste un des obstacles à la normalisation des relations entre la France et l’Algérie. « Les morts sans sépulture de la Seine nous interpellent. Leur combat pour une Algérie libre n’a pas eu la reconnaissance du pays dont les dirigeants ont minimisé longtemps leur rôle dans l’accélération du mouvement pour l’indépendance. Ces morts ont été instrumentalisés et ignorés par les pouvoirs français et algérien en fonction de stratégies différentes mais qui se rejoignent dans la coupable amnésie, cette nuit noire du 17 octobre 1961. Paix à leurs âmes », peut-on lire dans le quotidien algérien L’Expression. Le temps de la reconnaissance est venu signe l’éditorialiste d’El Watan : « Cinquante ans après la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 des Algériens de Paris et sa répression par la police française, le temps est peut-être venu de lever les tabous, les non-dits, les simplifications et instrumentalisations de l’histoire. Les demandes de reconnaissance symbolique s’adressent autant à l’Etat français qu’algérien. La mémoire de ces événements est aussi bien française qu’algérienne. N’est-il pas temps que l’Etat français rende justice aux victimes de la colonisation en faisant acte de reconnaissance officielle de son passé en Algérie ? Bien que l’exigence de reconnaissance ne soit pas de même nature ni de même niveau pour l’ancienne puissance coloniale et pour l’ex-pays colonisé, l’Algérie, qui s’apprête à célébrer le cinquantième anniversaire de son indépendance, ne doit-elle pas prendre possession, sans exclusive, de tous les événements, faits et moments forts qui ont jalonné son combat pour le recouvrement de sa souveraineté nationale ? »
« Au moins 200 Algériens ont été tués, abattus, frappés ou jetés à la Seine »
A l’occasion du cinquantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961, les manifestations commémoratives sont nombreuses en France. A l’initiative d’associations, de municipalités ou d’artistes. Parmi ces initiatives, un film, un web documentaire plus précisément. « 17 octobre 1961, la nuit oubliée », réalisé par Olivier Lambert et Thomas Salva, respectivement journaliste et photographe. « Le 17 octobre 1961 est un moment oublié de l’histoire de France, expliquent-ils sur leur site. Longtemps, les atrocités commises pendant cette manifestation pacifique d’Algériens ont été passées sous silence par le gouvernement et les médias français. Aujourd’hui, on en sait beaucoup sur la violence de cette nuit : au moins 200 Algériens ont été tués, abattus, frappés ou jetés à la Seine ; 11 500 autres ont été arrêtés et souvent torturés. Des centaines enfin ont été renvoyés dans leur pays. » Conçu comme un « voyage interactif vidéo, photographique, sonore et littéraire » ce web documentaire retrace « de façon précise » cette soirée. « La replacer dans le contexte de la Guerre d’Algérie, en situer les lieux et les personnages principaux, et surtout exposer les paroles de ses derniers témoins. » Parmi les témoignages recueillis, ceux de Jean-Luc Einaudi, citoyen qui a consacré 30 ans de sa vie au sujet ; Ali Haroun, ancien cadre du FLN France ; Rahim Rezigat, Algérien témoin de la manifestation interné au Centre de tri de Vincennes… « Nous sommes revenus sur les lieux de l’événement, avons fouillé les archives, trouver des documents. En mêlant ces sources, en confrontant le présent et le passé, en interrogeant la culture française sur la Guerre d’Algérie, nous espérons traiter cet événement le mieux possible. 50 ans après ce massacre tragique, revenir sur cet événement en utilisant les possibilités multimédia est l’occasion de reconstruire une parcelle de la mémoire collective française et algérienne jusqu’alors volontairement transformée, effacée et ignorée… » Plus qu’un documentaire, le travail des deux réalisateurs s’inscrit dans le cadre d’un projet plus ambitieux : la mise en place d’une plate-forme interactive autour de cette mémoire du 7 octobre 1961. Le film est en libre accès sur le web grâce à un partenariat avec Daily motion.
« Il existe un déni terrible de l’Etat français sur cet événement »
En attendant, une grande manifestation est également prévue, organisée par les villes d’Asnières, Clichy, Colombes, Gennevilliers, Nanterre et Argenteuil (Val-d’Oise). Mais contrairement à ce qui avait été prévu au départ, elle n’aura pas lieu à Neuilly. Le maire, Jean-Christophe Fromantin (DVD), s’y est opposé. Même refus pour la demande d’installation d’une plaque commémorative au pont de Bezons. Signe d’un passé qui n’est toujours pas passé. Un rassemblement aura tout de même lieu aujourd’hui à 17h30 sur l’esplanade de La Défense. La municipalité de Nanterre doit également inaugurer un boulevard du 17 octobre 1961. La ville accueillait en outre ce week-end le documentaire « Ici on noie les Algériens », de Yasmina Adi, avant sa sortie en salles mercredi. « Aujourd’hui, les témoins sont âgés, ils ont entre 70 et 80 ans. Attendons encore et il n’y en aura plus! Ce sont les dépositaires d’une parole qui n’est pas dans les manuels d’histoire, rappelle la réalisatrice. Il existe un déni terrible de l’Etat français sur cet événement. Il est temps que nos politiques grandissent et se montrent matures. »
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La nuit oubliée – 17 octobre 1961 – Trailer par lanuitoubliee