Dix semaines de tournage, une équipe de cinq personnes, deux ans de préparation pour 14 kilomètres, la distance entre Tanger (Maroc) et Algésiras (Espagne), la plus courte entre l’Afrique et l’Europe. La première fiction du journaliste et réalisateur espagnol Gerardo Olivares, qui sort mercredi en France, est un véritable document sur le douloureux périple d’un immigré clandestin africain.
Le goût de l’aventure transpire dans les œuvres de Gerardo Olivares, tout comme son intérêt pour le continent africain. Le journaliste et réalisateur espagnol s’est d’ailleurs offert en 1994 une traversée… en camion du continent. Il voyage « pendant un an et demi de Tanger à Cape Town et de Cape Town au Caire ». Cette expédition inédite a «beaucoup nourri» la production cinématographique du cinéaste espagnol qui livre avec 14 kilomètres son deuxième long métrage. Il retrace dans ce film les aventures périlleuses de trois Nigériens – Bouba, Violette et Mukela – qui tentent de rejoindre l’Europe. Le film, inspiré de témoignages, est le produit de dix semaines de tournage réalisé par une équipe réduite de cinq personnes et auquel Gerardo Olivares a consacré deux années avant de le mettre en images
Afrik.com : Pourquoi avez-vous choisi de faire un film et pas un documentaire sur cette immigration clandestine ?
Gerardo Olivares : Ma première idée a été de faire un documentaire. Mais quand je suis arrivé à Agadez, dans le nord du Niger, le périple est passé aux mains de la mafia. Cela devenait dangereux et il était impossible de continuer à filmer dans ces conditions. Mais j’ai continué mon voyage. Les témoignages que j’ai récoltés m’ont permis d’écrire le scénario. Par ailleurs, la fiction permet de transmettre plus d’émotion.
Afrik.com : C’est facile de collecter ces témoignages ?
Gerardo Olivares : Au début, cela a été difficile de gagner la confiance des gens. Cette étape franchie, le dialogue devient plus aisé.
Afrik.com : Quand vous avez effectué la traversée pour les besoins du film, qu’avez-vous ressenti ?
Gerardo Olivares : Il y une scène où Violette est arrêtée dans le car, les choses se sont exactement passées comme je le retranscris dans le film. De toutes les petites histoires que je raconte, seule l’histoire d’amour résulte de mon imagination. J’ai été très heureux de faire ce voyage et ce film. J’ai fait 14 kilomètres pour ouvrir les yeux des gens sur la situation des personnes qui sont obligées de faire cette traversée, de montrer combien elle est difficile. Je savais que ce serait dur, mais je suis heureux de l’avoir fait. C’est ma façon de mettre du cœur dans les images que l’on montre dans l’actualité.
Afrik.com : Au festival de Valladolid 2007, 14 kilomètres a notamment obtenu, outre le prix du meilleur film et de la meilleure musique, celui de la meilleure photographie. Vous aviez l’intention de travailler sur la lumière ou le paysage vous a obligé à y faire particulièrement attention ?
Gerardo Olivares : Quand j’ai décidé de faire ce film et choisi l’endroit où je voulais le tourner – il fallait que je sois fidèle au trajet qu’empruntent les clandestins -, le Ténéré en faisait partie. Le désert est comme je le montre. Mais j’avoue que ce n’était pas facile d’y tourner, tout comme il n’est pas facile de tourner en Afrique. C’est difficile de faire un « road movie » dans des Etats policiers, comme le sont le Mali et le Niger.
Afrik.com : Vous parlez de la prostitution, de la pauvreté, de l’uranium, des touaregs, de la jeunesse nigérienne en mal d’avenir…14 kilomètres évoque tout cela. Pourquoi ?
Gerardo Olivares : Cela s’est imposé à moi. En faisant mes recherches, tous ces sujets se sont présentés à moi. Le Niger est un pays où il est difficile de vivre, à cause notamment de la corruption. Par exemple, le conflit ouvert que connaît actuellement le Niger, celui qui oppose les touaregs et le gouvernement, est lié à l’uranium. Je l’évoque, comme bien d’autres sujets, dans le film pour donner l’idée la plus juste possible de la situation de ce pays.
Afrik.com : Ce n’est pas le premier film que vous tournez au Niger. Avez-vous une affection particulière pour ce pays ?
Gerardo Olivares : C’est un endroit particulier dont on tombe amoureux. Pour moi, le Niger est le cœur de l’Afrique, les nomades ont cette pureté qui se fait si rare. C’est parce que j’ai une grande affection pour les Nomades que j’aime le Niger. Le paysage est magnifique. Mais j’aime aussi des pays comme le Bénin ou la Gambie.
Afrik.com : Vous êtes Espagnol. Votre pays cherche aujourd’hui à se « débarrasser » de ses migrants légaux et doit « accueillir » sur ses côtes des clandestins. Comment la question de l’immigration en général, l’immigration clandestine en particulier, est ressentie dans l’opinion publique espagnole ?
Gerardo Olivares : Les réactions varient selon les catégories socio-professionnelles. Pour la classe moyenne et les milieux les moins aisés, les migrants sont des concurrents sur le marché de l’emploi. Les personnes plus instruites sont, pour leur part, plus ouvertes sur la question. La plupart des personnes pensent que le nombre croissant d’immigrants en Espagne est à l’origine de l’insécurité. Mais quand il s’agit de sa femme de ménage, pas question d’y toucher parce qu’elle est fantastique. Quand on connaît un boom économique, nous ouvrons la porte aux migrants. Puis quand la crise arrive, nous la fermons et demandons à ces immigrés de rentrer chez eux. Je trouve cela profondément injuste. Les migrants ne sont pas du kleenex que l’on jette après l’avoir utilisé. L’Europe a pris beaucoup à l’Afrique, il est temps qu’elle le lui rende un peu. Encore une fois, nous ne sommes pas justes.
Afrik.com : Votre film est dédié aux personnes qui s’engagent dans ce voyage périlleux. On sent chez vous comme une admiration pour eux…
Gerardo Olivares : C’est vrai. Mes parents ont beaucoup voyagé et ils m’ont fait découvrir l’Afrique. Je comprends parfaitement pourquoi ces gens veulent venir en Europe. Les situations qu’ils vivent ne sont pas faciles. Si j’étais à leur place, je ferai de même. Le voyage qu’ils entreprennent est dur et quand ils arrivent enfin en Europe, là où ils pensent que tout est fini, commence alors le véritable cauchemar.
Afrik.com : Le casting est fait de non-professionnels ? Comment les avez-vous recrutés
Gerardo Olivares : J’ai rencontré Aminata Kanta, qui incarne Violette, et Adoum Moussa, Bouba dans le film, sur un marché et Illiassou Mahamadou Alzouma, qui interprète Mukela, avait joué dans mon précédent film La Grande finale.
Afrik.com : C’est difficile de tourner en Afrique, mais vous laisserez-vous encore tenter par un tournage en Afrique ?
Gerardo Olivares : Bien sûr. Si je pouvais tourner tous mes films et documentaires en Afrique, je le ferais.
Afrik.com : Le film a-t-il été vu en Afrique ?
Gerardo Olivares : Le gouvernement espagnol a acheté le film et il est projeté dans tous les pays africains où nous avons une ambassade. C’est déjà le cas au Sénégal et en Mauritanie.
14 kilomètres de Gerardo Olivares
Avec Adoum Moussa, Aminata Kanta et Illiassou Mahamadou Alzouma,
Sortie française : 25 Février 2009
Durée : 1h 35min.