La deuxième puissance financière de la Francophonie après la France, le Québec, accueillera dés le 17 octobre prochain, le 12e Sommet des Chefs d’Etat ayant le français en partage. Ils devraient aussi en partager l’avenir pour qu’il soit moins sombre.
par Amadou Lamine Sall, poète, lauréat des Grands Prix de l’Académie française
Pour ma part, la Francophonie est capitale. Je ne suis pas de ceux, de plus en plus nombreux, et à tort, qui demandent tout simplement son enterrement. Je la défendrais toujours. Elle demeure une belle institution, fédératrice, porteuse d’une immense espérance. Nous n’en sommes plus, nous du Sud, des locataires mais bien des propriétaires à part entière. C’est une famille dont nous avons besoin. Mais elle a besoin d’une véritable mutation. Elle se doit d’être plus solidaire, plus visible, plus exigeante avec elle même. En l’état actuel, elle a beaucoup déçu et il ne faut pas le taire si nous l’aimons. Elle a besoin d’être bien secouée pour qu’elle revienne à l’essentiel de ses missions, à ses fondamentaux. Elle ne peut pas tout faire en voulant à la fois remplir les missions de l’Unesco et de l’Onu. Elle y a ajouté le combat de « Greenpeace » et du « Grenelle de l’Environnement ». Qui trop embrasse mal étreint, c’est connu. La voilà donc trop dispersée et s’épuisant dans des objectifs qui ne sont pas les siens. Il faut la recentrer sur la culture, l’éducation et la formation, la promotion, la défense et le rayonnement de la langue française ainsi que sur la valorisation des langues nationales du Sud. Soutenir par ailleurs les créateurs, être plus proche d’eux, favoriser enfin leur libre circulation dans TOUT l’espace francophone. L’institution d’un visa francophone avait été le combat du Québécois Jean-Louis Roy, quand il dirigeait l’institution avant la grande réforme issue du Sommet de Hanoï qui a vu l’arrivée de Boutros Boutros Ghali et plus tard d’Abdou Diouf. Une convention intergouvernementale avait été proposée au Sommet de Hanoï. Elle devrait consigner une préférence raisonnable s’agissant de la circulation des personnes dans notre espace international. « On ne fera pas la Francophonie en fermant les frontières des pays francophones aux francophones, ni en les expulsant », avait plaidé Jean-Louis Roy. Le Canada et la France se sont opposés à cette convention dont j’étais membre expert dans le comité de rédaction qui siégeait à Paris. Et pourtant « cette convention avait été ramenée à l’extrême du raisonnable. Les nouvelles générations du Sud iront et vont ailleurs avec un fort bagage de ressentiments, délaissant de plus en plus l’espace francophone du Nord pour le continent américain » constata, amer, l’ancien Secrétaire Général du 13, quai André Citroën.
La vérité est que la Francophonie ne se fera ni contre la France ni sans la France, mais avec elle, quelles que soient ses priorités nationales ou européennes au détriment des pays et des peuples qui lui sont plus proches par le cœur et par l’histoire. Pour cette raison, la France doit beaucoup réfléchir, beaucoup céder. Jean-Louis Roy avait mené une solide réflexion sur l’avenir de notre commune institution. Elle doit être relue. C’est pour cette raison que le rapport commandé à Hervé Bourges, homme que j’estime, au-delà de ses qualités avérées, a fait un peu sourire pour n’avoir apporté rien de vraiment nouveau sous le maigre soleil de la Francophonie. Tout se savait déjà. Ou presque. Puisse ce rapport, tout de même, ne pas subir le sort d’être laissé en pâture à « la critique rongeuse des souris ». Je souhaite, et je l’avais déjà écrit, que les instances dirigeantes de la Francophonie exhument et revisitent le formidable et gigantesque travail de fouille, de constats, de critiques et de propositions conduit par Makhily Gassama, oordinateur du Comité d’experts de l’époque, non seulement sur le « Bilan critique du programme édition-diffusion » que sur le bilan critique dans les domaines de la culture et de la Communication de 1970 à 2000. On s’interroge d’ailleurs sur ce qu’est devenu, depuis, la part de ces programmes vertébraux et solides, dans la gestion de la Francophonie d’aujourd’hui. Quant à Jean-Louis Roy, pour revenir à lui, son nouveau livre qui vient de paraître sur notre commune institution, mérite d’être lu et médité.
Ici, aujourd’hui, j’en appelle personnellement au président de la République du Sénégal et au-delà, au président Nicolas Sarkozy, aux chefs de gouvernement du Québec, à tous les chefs d’Etats africains qui seront présents au Québec, à tous les poètes et écrivains, à tous ses milliers d’intellectuels, de professeurs, d’amoureux de la langue, pour que l’instance francophone se dote d’une sorte de « Conseil de sécurité de la langue française et de la promotion des langues et des cultures identitaires », un outil moins politique, un outil de conseil, de veille et d’équilibre, pour nourrir les réflexions, les décisions, les orientations majeures sur la Francophonie, en dehors de l’emprise exclusive des directives des Sommets des Chefs d’Etat. C’est une idée que je lance. Elle pourrait être discutée, amendée, améliorée, enrichie. Mon vœu est qu’il faut que la Francophonie revienne à la culture. La politique n’est qu’une urgence, certes devenue obsédante, mais c’est la culture qui est l’exigence. C’est la culture au sens large : l’alphabétisation, la scolarisation, la recherche universitaire, l’édition, le livre de jeunesse, la lecture, la création littéraire, artistique, scientifique et technologique, qu’il faut d’abord servir dans et par une langue française mieux enseignée, mieux parlée, plus présente, plus adaptée aux nouvelles sciences, plus ambitieuse, plus respectée. Servir les créateurs et la langue française avant les politiques. Les actions de partenariat et de coopération doivent donner la priorité à l’éducation et à la formation à travers des dotations budgétaires conséquentes. Jusqu’où faut-il d’ailleurs garder les jeux de la Francophonie ? Je ne suis pas contre, mais je réfléchis sur leur tenue une fois tous les quatre ans, au moins. Ne faudrait-il pas délester l’instance francophone de certains « bureaux régionaux » à l’étranger, dés lors que nombre de pays possèdent déjà dans leur dispositif administratif des directeurs ou secrétaires généraux de la Francophonie ? Délester celle-ci aussi de certaines « directions » non stratégiques, regrouper les forces et les compétences, réduire les programmes à objectif purement politique, arriver enfin à des économies budgétaires dans un environnement financier national et international pénible pour tous ? Ne faut-il pas préférer l’approfondissement à une multiplication sommaire de missions et de programmes sans impact réel ? Aux programmes et projets doivent correspondre des objectifs précis, des activités pertinentes, des résultats concrets, des indicateurs avérés. Par ailleurs, il ne faut jamais oublier « le pacte originel qui a fait émerger dans l’histoire, depuis les pères fondateurs, notre communauté francophone internationale. Ce pacte la constituait comme communauté de développement consentant à apporter sa richesse spirituelle, culturelle et matérielle à l’aire linguistique francophone. Sans exclure des apports nouveaux, nous ne devons pas sacrifier ce pacte à quelque Lettonie, Soudan ou Mozambique francophone imaginaire » avertissait Jean-Louis Roy.
Il s’agit également de ne jamais oublier la place que le Sud occupe dans le présent et l’avenir de la Francophonie. Selon des études, « les projections démographiques renforcent l’importance actuelle et à venir du sud francophone s’agissant de la sauvegarde, du rayonnement et de l’usage de la langue française dans le monde. En 2020, dans un monde qui comptera 8 milliards de personnes, 164 millions de francophones vivront dans les pays du Nord, dont 24 millions auront moins de 20 ans et 640 millions dans les pays du Sud dits francophones, dont 280 millions auront moins de 20 ans ». Jean-Louis Roy nous dit alors : « Aussi loin que l’on puisse voir, la langue française ne disparaîtra pas du paysage linguistique mondial. Mais elle pourrait devenir marginale si elle faisait l’impasse sur les trois quart de ses membres vivant dans la seule région du monde où elle a des chances de se développer : c’est à dire le Sud. »
Pour ma part, je pense qu’il faut tenter d’oeuvrer pour que la Francophonie devienne un drapeau national dans chaque pays. Je donne l’exemple de la France qui fait tout et donne tout, sauf le visa, pour que la Francophonie devienne une réalité, une force, mais un pays où hélas, cette Francophonie se résume chez la majorité à la célèbre émission de télévision : Questions pour un champion. Il nous faut aller plus loin que cette caricature, cruelle réalité, aller plus loin dans les campagnes de sensibilisation, aller plus loin dans le travail de fond et non le vernis. Il faut que le dire et le savoir-faire des poètes, écrivains, artistes, intellectuels, scientifiques de tous bords de la Francophonie, soient relayés par les hommes politiques, car ce sont eux qui définissent malheureusement pour nous, quelles voies doit suivre l’institution francophone. C’est eux également qui apportent l’argent, même si c’est le nôtre, celui du contribuable. Nous devons faire avec, mais non sans agir, lever la voix. Il nous faut une prise de parole juste et non injuste, mais courageuse, entière, critique et engagée sans exclure le consensus, car il en faut souvent. Quand la décision politique rencontre l’imaginaire des créateurs et des intellectuels, elle accomplit au carrefour du réel et de l’utopie, des actes fondateurs que l’histoire met à son fronton.
J’ai vu que l’ordre du jour, par priorité, du prochain Sommet à Québec, a relégué la langue française à la dernière place. C’est triste ! J’ai appris l’invitation faite par la haute instance de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) au président de la République du Sénégal, Maître Abdoulaye Wade, de prononcer au Québec un discours sur la « Gouvernance économique ». Mais où a-t-on vu donc la Francophonie peser théoriquement ou concrètement sur nos pauvres économies nationales ? La gouvernance démocratique, idem ! Ce n’était pas le bon thème à proposer au président. C’est frustrant de n’avoir pas plutôt fait discourir Maître Wade sur une thématique moins usée, plus opérationnelle et plus préoccupante comme celle par exemple de la « G ouvernance de la langue française et des langues partenaires : l’enjeu de l’éducation, de la créativité et des défis technologiques dans la Francophonie d’aujourd’hui». Nous y aurions sûrement gagné en surprise et en enseignement, quand on sait combien le président est connu pour être provocant, critique, inattendu, créatif, sans pommade dans ses prises de parole d’un tranchant racinien, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Tant pis pour nous ! Pour l’heure, la Francophonie reste fidèle à ses tenaces démons. Et pourtant il faut espérer, y croire, se battre pour que cela change, dans le respect des idées des autres, mais sans que la Francophonie y perde ses voyelles, son identité. Sans qu’elle devienne une brocante.
Entendons-nous bien : la gouvernance économique, démocratique, environnementale est défendable. C’est l’air du temps. Mieux : l’avenir de notre terre et des vivants en dépend. Mais ce n’est pas là les besoins « biologiques » de la Francophonie. A chaque « espèce », le respect de sa nature, de ses « déterminants ». Bien sûr encore, c’est la volonté politique soutenue par une foi culturelle qui a donné naissance à notre institution. Mais la fille n’était pas destinée à cette poignante polyandrie à laquelle on la soumet aujourd’hui.
Je souhaite de tout mon cœur, au-delà de la complexité du mammouth, des impasses budgétaires récurrentes, du souci de ne vouloir laisser aucun secteur en rade, quitte à habiter l’approximatif et la faillite des programmes ; au-delà des susceptibilités nationales qu’engendre le multilatéral ; au-delà de la passion des nationalismes linguistiques qui sont inévitables et utiles; je souhaite que ce 12e Sommet au Québec, ce « pays » que j’aime tant et aux poètes incomparables, soit celui du réalisme, de la sobriété, du changement, de l’efficacité, du courage, de la vérité, de l’amitié certes et toujours de cette irremplaçable solidarité entre nos peuples que cette belle et si élégante langue française que nous avons héritée de la France et la France des Romains de Jules César, a jusqu’ici servi de pont et de lumière pour l’esprit.