Quelque 80 000 diplômés de l’enseignement supérieur auraient quitté l’Algérie depuis la fin des années 1970 et environ 3000 les rejoindraient chaque année. Des estimations faites respectivement par les services de la présidence de la République au milieu des années 1990 et le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) au début des années 2000.
Victimes du chômage, marginalisés dans les entreprises nationales et incapables de monter leurs propres affaires dans un pays où les outils de l’économie de marché tardent à se mettre en place, ces derniers ont été contraints de tenter leur chance sous d’autres cieux. S’il y a plus de vingt ans, elle ne concernait que les scientifiques de haut rang, l’émigration des cadres algériens a pris une tournure plus dramatique au cours de ces quinze dernières années, en affectant tout le champ des élites qu’elles soient scientifiques, littéraires, artistiques, managériales et autres. Un certain nombre d’entre elles ira grossir les rangs d’une diaspora à la tête d’un réseau d’entreprises disposant d’environ 43 milliards d’euros de dépôts dans les banques françaises. Une manne dont notre économie aurait pu tirer profit, si nos autorités avaient pris la peine de mettre en place les moyens nécessaires, comme par exemple cette banque de l’émigration encore au stade de projet depuis pratiquement la fin des années 1980.
La réussite de ces compatriotes en dehors du pays montre à l’évidence que lorsque les mécanismes du marché fonctionnent et que l’Etat de droit existe, les Algériens sont en mesure de créer et de gérer avec compétence des activités. La marginalisation et les échecs professionnels que la plupart d’entre eux y avaient subis avant de se faire une place au soleil à l’étranger montrent a contrario que la réussite professionnelle des cadres n’est pas toujours acquise dans un pays où les mécanismes du marché et l’Etat de droit n’existent pas, quand bien même ils disposeraient d’une compétence hors du commun. Près de 100 000 chefs d’entreprise d’origine algérienne auraient ainsi été recensés en Europe et plus majoritairement en France, selon les estimations d’un institut français de statistiques.
D’importants investissements en France
Ces entreprises de droit français et de divers statuts juridiques (Sarl, SPA, sociétés anonymes…) sont en constante augmentation pour au moins trois raisons majeures. Il y a d’abord l’installation massive en France de cadres algériens marginalisés dans leur propre pays, mais suffisamment bien formés pour créer dans le pays d’accueil des entreprises à la mesure de leurs compétences, de leurs moyens et de leurs ambitions. Il y a également les riches entrepreneurs installés en Algérie de plus en plus nombreux à chercher un pied à terre en France, en y créant des sociétés dont les revenus seront principalement destinés à l’avenir scolaire et professionnel de leurs enfants. Il y a enfin les immigrés algériens de la deuxième génération qui ont eu la chance d’avoir fréquenté de grandes écoles ou qui maîtrisent les technologies de pointe qui permettent de créer rapidement des entreprises dans des créneaux particulièrement rentables (informatique, télécommunications etc.).
Si les terrains de prédilection des entreprises créées à l’étranger sont assurément le commerce et la distribution, les Algériens expatriés sont également fort nombreux à investir dans des activités aussi variées que l’industrie électronique, l’agroalimentaire, l’informatique, les transports, le négoce, l’expertise comptable, l’hôtellerie et même les médias lourds. L’écrasante majorité de ces chefs d’entreprise a pour caractéristique d’avoir gravi les échelons de la réussite économique et sociale par la seule force de leur volonté, il est vrai favorisée par l’existence dans le pays d’accueil d’un véritable Etat de droit et de mécanismes de marchés transparents et bien huilés. Placés dans les conditions de travail qui prévalent actuellement en Algérie, ces derniers auraient certainement été moins performants sans compter les abandons et les faillites que les tracasseries administratives n’auraient pas manqué de susciter. Ils sont d’ailleurs tous à l’écoute d’éventuels changements qui pourraient améliorer le climat des affaires dans leur pays d’origine pour y prolonger leur réussite. Si la plupart d’entre eux ont, pour le moment, exclu le retour définitif au pays, leur souhait quasi unanime est de faire dans l’immédiat quelque chose pour commencer déjà par y mettre pied. Les retombées positives de certaines infrastructures en cours de réalisation, comme l’autoroute Est-Ouest et les pôles de compétitivité en projets, constituent autant d’espoirs de promotion d’affaires dans leur pays d’origine.
Pratiquement tous les chefs d’entreprise que nous avons interrogé ont en tête un ou plusieurs projets d’investissement à réaliser en Algérie. Mais échaudés par les lourdeurs bureaucratiques et le peu d’empressement des autorités algériennes à améliorer le climat des affaires, la plupart d’entre eux se sont résignés à ne s’y engager que prudemment, convaincus que ce qui les incitera à investir en Algérie c’est l’engagement des autorités algériennes à accélérer la transition vers l’économie de marché et à instaurer un authentique Etat de droit qui puisse les protéger de l’abus d’autorité, de la corruption et des errements de notre administration.
Nordine Grim, pour El Watan