Moïse Katumbi, l’opposant numéro en RDC, était invité à plancher ce mercredi 7 septembre devant le Parlement Européen dans le cadre d’une conférence sur la démocratie, l’alternance et le respect des droits de l’Homme en Afrique. L’occasion pour celui qui est considéré par le régime de Joseph Kabila comme son adversaire numéro un de donner son point de vue sur la situation politique au Congo-Kinshasa et sur le dialogue en cours, mais aussi de redire toute sa détermination à aller « jusqu’au bout ». Car, a-t-il prévenu, qu’il le veuille ou non, « Joseph Kabila doit quitter le pouvoir le 19 décembre ».
Moïse Katumbi était aujourd’hui l’invité de prestige du Parlement européen. Convié par les députés européens Cécile Kyenge et Gianni Pittella, l’opposant RD congolais a profité de l’exercice pour donner son point de vue sur le contexte politique, très tendu à l’heure actuelle en RDC. « Même sous Mobutu, nous n’avons pas connu pareilles dérives », dénonce le dernier Gouverneur de l’ex-Katanga, avant de préciser : « on reconnaît un opposant en RDC au harcèlement, à l’emprisonnement, à l’exil qu’il subit, ou encore à sa place dans un cimetière », ajoute-t-il, sur un ton grave. Un peinture très noire, corroborée par celle d’Ida Sawyer, la chercheuse de Human Rights Watch, récemment « expulsée » du Congo-Kinshasa. Quelques minutes plus tôt, l’un des panélistes, l’opposant djiboutien Daher Ahmed Farah avait très justement indiqué: « ce que nous faisons en Afrique, ce n’est pas de l’opposition mais de la résistance. » Un propos qui sied sans conteste au contexte congolais.
Une minute de silence pour les victimes de Beni
Tranchant, Moïse Katumbi évoque en filigrane un pays mal-gouverné, voire non-gouverné du tout. Il en veut pour preuve Beni, cette ville martyre de l’Est de la RDC, qui est devenue synonyme de violence, de barbarie et d’injustice. Une localité du Nord-Kivu qui a vu périr plus de 1.400 de ses habitants depuis octobre 2014. « Aujourd’hui à Beni, c’est la désolation. Le président s’y est rendu et juste après, les tueries ont repris », s’est-il exclamé. Beni symbolise à elle seule « la mauvaise gouvernance et l’absence de volonté de nos dirigeants », souligne un de ses proches. « S’il y avait une volonté politique, la situation à Beni et dans l’Est du pays, trop longtemps laissée à l’abandon, pourrait être réglée rapidement », tonne ce dernier avant d’égrener une série de mesures concrètes susceptibles de remédier à ce pandémonium. Moïse Katumbi, qui a débuté son intervention par une minute de silence pour les victimes de Beni, a d’ailleurs réclamé l’instauration d’un Tribunal spécial international, sur le modèle de celui d’Arusha.
Les « dérives totalitaires » du régime, Moïse Katumbi les subit de plein fouet. « Il est devenu la cible de l’intolérance et de la violence du pouvoir », rappelle l’un des participants à cette conférence, en référence au harcèlement judiciaire dont lui et ses proches sont victimes. Un acharnement qui va crescendo depuis plusieurs mois pour celui qui, en privé puis en public, a « toujours dénoncé les graves dérives en matière de droits de l’Homme, de gouvernance et les velléités du pouvoir de ne pas respecter la Constitution. » « Quand j’étais avec le pouvoir actuel, je me suis battu en interne pour le respect de la Constitution. J’étais incompris », insiste-t-il. Mais loin de le faire douter, le harcèlement dont il est victime de la part du régime ne fait manifestement que renforcer sa détermination : « Je suis et reste candidat », prévient-il avant de lâcher, résolu : « j’irai jusqu’au bout ».
Monologue du pouvoir
Et que pense Moïse Katumbi du dialogue en RDC qui vient de débuter ? Sur ce point aussi, son opinion est tranchée et la langue de bois, mise de côté. Ce dialogue ressemble davantage à « un monologue du pouvoir » destiné à « tromper le peuple, l’opposition et la communauté internationale », dénonce-t-il. « Comment expliquer, par exemple, qu’Etienne Tshisekedi ne soit pas à ce dialogue ? », fait-il mine de s’étonner pour mieux mettre en évidence son manque patent d’inclusivité. Et pour cause, l’unique objectif de cette stichomythie, d’ailleurs, serait d’offrir un prétexte au « maintien au pouvoir du Président Kabila en toute illégalité. » Un proche de Moïse Katumbi précise : « le Rassemblement n’est pas opposé au dialogue. Le dialogue, le vrai dialogue, nous ne le refusons pas. » Mais, déplore-t-il, « nous avons conditionné notre participation à certains préalables qui n’ont pas été satisfaits à ce jour. Nous attendons des signaux positifs du pouvoir mais ils ne viennent pas. »
Kabila ne doit pas se maintenir. Ce point est non-négociable
Moïse Katumbi a-t-il pour autant fait son deuil de l’alternance en 2016 ? Absolument pas. A la question, « que ferez-vous si le Président actuel reste au pouvoir après le 19 décembre 2016 ? », la réponse fuse. « Kabila ne doit pas se maintenir au pouvoir au-delà du 19 décembre. Ce point est non-négociable. » Plus loin, il insiste à nouveau : « nous demandons à Joseph Kabila de quitter le pouvoir et de laisser la RDC aller de l’avant. ». Car le dernier Gouverneur de l’ex-Katanga en est convaincu, « Kabila peut encore sortir par la grande porte. » Le problème, c’est qu’« il est entouré par de vieux loups, ceux-là même qui ont induit Mobutu en erreur et pour qui la politique est un business. »
Pour autant, rappelle-t-il, « nous n’allons pas accepter la violation de notre Constitution. Nous allons organiser des marches pacifiques jusqu’à obtenir le départ du Président Kabila » Dans l’esprit de Moïse Katumbi, la stratégie du fait accompli que l’on prête à la Majorité présidentielle (MP) serait donc vouée à l’échec. D’autant qu’il compte bien poursuivre la stratégie d’union de l’opposition entreprise avec Etienne Tshisekedi et d’autres ténors de la vie politique RD congolaise, tirant ainsi les enseignements du scrutin précédent. « En 2011, si elle avait eu un seul candidat, l’opposition aurait remporté l’élection. » Ceux qui sèment la division et la discorde dans l’opposition en prennent pour leur grade. « Soit on est opposant, soit on ne l’est pas », dit-il en lançant un regard entendu à l’auditoire…
Volontarisme politique et rejet de toute fatalité
« Notre pays, le plus grand d’Afrique francophone, ne se stabilisera qu’à travers une démocratie forte et réelle », précise l’entourage de Moïse Katumbi. Cela tombe bien car, pour ce dernier, « il n’y a pas de fatalité démocratique en Afrique, y compris en Afrique centrale. » Dans les couloirs du Parlement européen, il précise qu’« en Afrique, lorsqu’il y a des démocrates au pouvoir, la démocratie est possible ! » Des propos qui témoignent d’un volontarisme politique et d’un rejet de tout fatalisme en ce domaine (l’essence même du « katumbisme », selon l’un de ses proches). D’autant que dans son esprit, au-delà de la RDC, c’est bien le développement et la stabilisation de l’ensemble de la sous-région et du continent qui est en jeu. « Par ses richesses énergétiques et agricoles notamment, notre pays a le potentiel d’électrifier et de nourrir un grand nombre de pays frères africains. Une RDC stabilisée contribuera au développement économique du continent », rappelle-t-il en soulignant au passage son bon bilan à la tête de la province de l’ex-Katanga. Un exercice dans lequel il est aussi à l’aise que précis. « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous », lance Moïse Katumbi en citant Thomas Sankara. Au Katanga manifestement, Moïse Katumbi avait choisi l’eau potable pour tous. Tonnerre d’applaudissements dans la salle.
Pour Katumbi, démocratie et développement sont intimement liés. Et, selon lui, ils sont incontestablement le fruit d’une volonté politique. Rien donc n’est impossible… à condition de le vouloir. Fort de son bilan à la tête de l’ex-Katanga, l’homme est visiblement prêt à relever le défi du développement à l’échelle du pays tout entier. « Mon programme politique pour la reconstruction de la RDC est déjà bouclé », a indiqué celui qui compte « rentrer très bientôt au pays pour participer à l’élection présidentielle.», balayant d’un revers de main les « faux-procès » pilotés par le ministre de « l’injustice ». Joseph Kabila est prévenu. En RDC, le glissement pourrait être plus difficile que prévu.