Le procès Simbikangwa est entré ce lundi dans sa dernière semaine. La parole était aux avocats des parties civiles qui ont tenté de faire valoir les intérêts des présumés victimes de l’ancien capitaine de la garde républicaine. Ces différents avocats ont dressé le portrait psychologique d’un « capitaine » réputé, atteint du « symptôme du tueur-sauveteur ».
De notre correspondant à la cour d’assise de Paris
A la première journée de plaidoirie des parties civiles, ce lundi, cinq associations se sont succédés pour tenter de dresser un portrait de l’accusé. « Notre tâche n’est pas de démontrer la culpabilité de l’accusé » mais « de mieux cerner la personnalité, les incohérences de Pascal Simbikangwa » explique Emmanuel Douad, avocat pour la Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH).
Deux stratégies se sont succédées, ce lundi, au cours de la plaidoirie des parties civiles. Le premier avocat de la FIDH à parler lors de cette journée, Maître Baudoin, méthodique, austère, a contextualisé de nouveau ce génocide « prémédité » que Pascal Simbikangwa aurait participé à organiser. En préambule, au cours d’une longue introduction historique sur la FIDH, il s’est attaché à défendre la légitimité de son institution dans ce procès, comme l’ont respectivement fait les autres associations qui ont plaidé au cours de cette journée, Survie et la LICRA.
« J’ai été souvent habité d’un sentiment d’irréalité en me rendant au Palais de justice » déclare Maître Daoud, de son côté, qui a interpellé plusieurs fois les jurés et l’accusé. Il a mis en exergue le « parcours extraordinaire » de ce dernier, son niveau de compétence et les fonctions occupées pour mieux faire apparaître ses responsabilités dans le génocide. « Comment capitaine, en le regardant droit dans les yeux, des hommes ont pu faire cela et organiser cela », déclare le deuxième avocat de la FIDH dans l’ordre d’apparition.
Le « recours à la compétence universelle »
Immobile stoïque sur sa chaise roulante, le « capitaine Pascal Simbikangwa », tel qu’il se fait appelé par Daoud tout au long de la plaidoirie, a écouté, sans broncher, le portrait de génocidaire au commande qu’a tenté de dresser l’accusation. A peine a-t-il esquissé quelques gestes d’incompréhensions, vite rappelé à l’ordre par ses deux avocats, commis d’office, Maîtres Bourgeot et Epstein.
La plaidoirie de Maître Baudoin a ensuite consisté à la contextualisation de ce procès dans l’Histoire, le comparant avec ceux des crimes nazis, des Khmers rouges et de Pinochet, notamment, auxquels la FIDH a participé. « Mais à tous ces procès, les accusés n’étaient pas présents. Aujourd’hui c’est différent » déclare l’avocat, qui n’aura regardé l’accusé qu’a une seule reprise au cours de son exposé. Il rappelle la nécessité du « recours à la compétence universelle » octroyé par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) à la justice française, qui lui permet de juger ce rwandais, pour des crimes présumés au Rwanda, en France, après avoir refusé de l’extrader.
« On le sait, des nazis ont sauvé des juifs »
Le renvoie à la mémoire du génocide des juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale a été constant de la part des avocats des parties civiles. Maître Baudoin évoque un « négationnisme qui n’ose s’afficher comme tel » quand il essaye de déconstruire la stratégie de la défense. Elle consiste à évoquer les crimes commis par le Front Patriotique Rwandais (FPR), le parti tutsi qui a pris le pouvoir après le génocide, pour montrer la différence de traitement entre des actes, pour eux, similaires. « Ce n’est pas parce que tous les bourreaux ne sont pas jugés qu’il ne faut juger personne », leur répond alors Baudoin.
L’avocat de la LICRA, David Reingewirtz, évoque ensuite Joseph Kessel qui dresse les portraits des dirigeants nazis pendant le procès de Nuremberg. « Ils ressemblent à Simbikangwa » explique-t-il. Pascal Simbikangwa est comparé, par ce même avocat, à Hermann Göring, dignitaire nazi lors du procès de Nuremberg. Göring, comme Simbikangwa, nie la réalité des photos de cadavres et explique qu’il s’agit d’un complot américain.
Quand les avocats des parties civiles évoquent les Tutsis sauvés par l’accusé, c’est pour mettre en doute la santé mentale de l’ex-chef des services de renseignements. « C’est le symptôme du tueur-sauveteur. On le sait, des nazis ont sauvé des juifs » indique Maître Baudoin, qui utilise le terme évoqué par Jacques Sémelin, entendu la semaine dernière à la barre, un spécialiste des crimes de masse. Cet avocat de la FIDH file ainsi la comparaison avec la Shaoh, reprise par l’avocat de la LICRA. « Il n’y a rien de commun entre un résistant de la Seconde Guerre Mondiale et Pascal Simbikangwa ». Un résistant prend des risques, Pascal Simbikangwa n’en prenait pas, nous explique cet avocat. Il évoque une tactique de l’accusé pour faciliter sa fuite hors du territoire rwandais. Il emmène avec lui des Tutsis comme « sauf-conduit », selon David Reingewirtz, au cas où il rencontre des FPR.
« C’est une personnalité manipulatrice élevé dans la haine du Tutsi »
Sa profil psychologique est encore étudié par maître Baudoin. En 1986, l’accusé perd ses jambes dans un accident de la route« qui nourrit en lui un ressentiment ». Il poursuit, « c’est une personnalité manipulatrice élevée dans la haine du Tutsi ». Les principaux arguments de l’accusation ont été martelés dans chaque plaidoirie. L’accusé ne pouvait pas ne pas être au courant et responsable en partie du génocide, étant donné sa notoriété et les différents postes de hauts fonctionnaires qu’il a occupé. Il était très proche du président Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat a marqué le début du génocide. « Le fait de se présenter comme le capitaine Simbikangwa suffisait pour passer aux barrages » qui ciblaient les Tutsis au cours du génocide, explique maître Simon, avocat pour l’association Survie.
« Vous avez essayé, Monsieur le président (de la cour), de récolter quelques vérités. La récolte a été faible, si vous me le permettez » a attaqué Maître Baudoin pour mieux mettre en cause les faux témoignages de l’accusé, « il est apparu constamment dans le déni et le mensonge ». Alors que l’accusé tente d’euphémiser au maximum son rôle et son poids réel dans la vie politique rwandaise, les avocats des parties civiles n’ont cessé de glorifier son parcours, lui l’homme cultivé, manipulateur. « Ca lui est impossible de reconnaître tous les crimes qui se sont déroulés au Rwanda » finit par lâcher David Reingewirtz, pour qui Simbikangwa a participé à la préparation même du génocide, « ce n’est pas un hasard s’il a contribué à créer la RTLM », la Radio Télévision Libre des Milles Collines, qui a diffusé des appels au meurtre au début de l’année 1994.
« Ces cinq associations représentent l’humanité »
Cette semaine est donc déterminante pour Pascal Simbikangwa, jugé pour complicité de génocide et crimes contre l’humanité. Il risque la prison à perpétuité. Tout repose maintenant sur le président de la cour, ses deux accesseurs et surtout les six jurés qui assistent tous les jours au procès depuis maintenant cinq semaines. « Votre verdict sera rendu au nom de l’humanité » leur déclare David Reingewirtz, « ces cinq associations représentent l’humanité » dans ce procès. « Vous n’êtes pas là pour juger l’histoire mais votre jugement à une dimension historique », conclut l’avocat de la LICRA.
Ce mardi, c’est au tour de l’avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda,
Maître Simon Foreman, de plaider.