Les harems de l’Empire ottoman, ces lieux de plaisir, ont fait rêver plus d’un mâle. Tout le monde pense instinctivement aux belles femmes, peu vêtues, parfumées et disposées à séduire. On y associe rarement l’esclavage, les souffrances ou encore les eunuques. Ces hommes qui, pour la plupart, venaient d’Afrique.
Le trafic d’esclaves est une banalité sous l’Empire ottoman, particulièrement celui des enfants. Des Européens, Asiatiques, Africains, retirés à leur famille et emmenés de force jusqu’à Constantinople (Istanbul actuelle) pour y être vendus. Les fillettes finissent généralement concubines ou servantes, et les garçons, militaires, ouvriers ou domestiques. Dans cette dernière catégorie, certains deviennent eunuques. Autrement dit, ils subissent la castration et ont pour tâche de garder les harems du sultan.
Dans un premier temps, les eunuques sont tous des Blancs. Puis, à partir de 1485, la mode change et les Noirs sont favorisés. La mode ? Non, pas uniquement, en réalité les jeunes africains résistent généralement mieux à l’opération. Une pratique douloureuse à laquelle seul un individu sur dix survit. Ces enfants noirs viennent en général d’Ethiopie et de la région du Lac Tchad. On estime leur nombre à 600 dans les palais de Constantinople. Ils souffrent du dépaysement, du cloisonnement et ne peuvent s’empêcher de repenser à l’Afrique. En effet, des siècles plus tard, des dessins de paysages africains seront retrouvés sur les murs de leurs anciennes chambres.
Souffrance ou opportunité ?
Certes, l’esclavage et la castration ne sont pas enviables. Toutefois, certains eunuques parviennent, grâce à leur intimité avec les concubines du sultan, à obtenir des postes importants. Tel est le cas de Kizlar Agasi (littéralement, « le chef des filles»), le premier Noir à avoir reçu le titre de Chef des Eunuques, en 1587. Il cumule même par la suite les titres de Pacha, Commandant des hallebardiers du palais, et Intendant des mosquées impériales et des fondations pieuses de La Mecque et de Médine. Rien que ça !
Kizlar Agasi est craint sur tout le territoire de l’Empire ottoman grâce à son rang et ses liens étroits avec le sultan. Ses fonctions politiques et religieuses lui confèrent en effet un statut tout particulier et font de lui l’un des Noirs les plus puissants du monde de l’époque. En raison de sa réussite, plutôt que de travailler durement pour un propriétaire ingrat, de nombreux esclaves demandent la castration afin d’intégrer les harems et bénéficier du même traitement.
Ces eunuques noirs deviendront définitivement libres à partir de 1918, après l’éclatement de l’Empire ottoman et l’abolition de l’esclavage en Turquie. On pouvait donc encore en rencontrer à Istanbul dans la seconde moitié du XXeme siècle, particulièrement dans le quartier de Bostanji. Des hommes diminués, sans statut, souvent rejetés, qui pouvaient difficilement trouver une femme à cause de la couleur de leur peau et des effets de la castration. Hayrettin Effendi, le dernier des eunuques, est mort en 1976, 70ans après son enlèvement d’Ethiopie…