Interview de Meziane Azaiche, concepteur et directeur artistique de Barbès Café. Le premier spectacle qui raconte en chansons l’histoire de l’immigration maghrébine en France.
Afrik.com : Définissez-nous Barbès Café en quelques phrases…
Meziane Azaiche : C’est un spectacle qui parle de l’immigration. On parle de Barbès café car ce sont de choses qui se passent dans les cafés. A l’origine, ce sont des chansons de l’immigration créées dans des bistrots (entre 1930 et 1960 par des chanteurs maghrébins). A l’époque, les artistes d’Afrique du nord ne se produisaient pas dans les salles de spectacle, ils se produisaient dans les cafés. Aujourd’hui, ils commencent à se produire dans les Zénith, au Cabaret sauvage, à l’Olympia, etc. Cela, grâce aux anciens. Que cette musique est maintenant reconnue. C’est une façon de leur rendre hommage. Ils ont écrit des chansons sur l’immigration qui sont d’actualité aujourd’hui.
Afrik.com : De quoi parlent les chansons de Barbès Café ?
Meziane Azaiche : Ça parle de l’exil, de la souffrance des gens qui laissent leurs parents, viennent travailler en France, de l’injustice qui peut avoir entre un étranger et un Français. Ça parle de cartes de séjours, des gens sans papiers, des choses dont souffrent les immigrés, la demande de reconnaissance.
Afrik.com : C’est quoi le message principal de Barbès Café ?
Meziane Azaiche : Le message principal, c’est dire qu’il n’y a pas autant d’évolution que ça dans l’immigration. Il faut qu’un moment donné, qu’au delà de l’immigration, on passe à une citoyenneté, parce que tant qu’on parle de l’immigration, il n’y aura pas d’égalité, l’égalité c’est le jour où on se retrouve tous ensemble, entre Blancs, Noirs et Jaunes, et qu’on est tous citoyens. A partir du moment où on met une étiquette sur les choses, il y a d’ores et déjà une séparation.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous choisi de réaliser ce spectacle sous forme de chansons ?
Meziane Azaiche : Ce sont des chansons qui racontent la mémoire de l’immigration, la douleur de l’immigration. Ces chansons évoquent aussi les moments agréables. On a pris des dates principales (neuf au total) pour raconter notre histoire : la guerre d’Algérie, le 17 octobre 1961, l’élection de François Mitterrand avec cet espoir d’égalité car il a régularisé des immigrés sans papiers, dont moi, on parle de la marche des beurs. On parle aussi de la reconnaissance de Hollande par rapport au massacre du 17 octobre 1961. On interpelle les promesses : le droit de vote aux étrangers, 31 ans après la promesse de Mitterrand. On ne sait pas si cette promesse de François Hollande va rester comme lettre morte.
Afrik.com : C’est pour cela que vous avez produit ce spectacle, pour interpeller les politiques français ?
Meziane Azaiche : Des politiques français et de chez nous aussi (algériens, rires). Nous cherchons à interpeller les politiques sur les grandes lignes de l’immigration. On a un passage dans le spectacle qui diffuse les images de quelques politiques de droite, du centre et un peu de gauche qui parlent de l’immigration pendant les élections, puis n’en parlent plus après le scrutin.
Afrik.com : C’est quoi l’immigration juste pour vous ?
Meziane Azaiche : Pour moi ? L’immigration juste n’existe pas. Le mot immigration, il faut qu’on l’abolisse. La terre est faite pour les Hommes. Moi, je me sens chez moi ici. Je ne me sens pas immigré. Ce sont eux (les Français, ndlr) qui m’appellent l’immigré. Moi, je donne tout ce que j’ai dans mes tripes pour ces gens là, pour la France et cette vie là.
Aziz Smati, ingénieur de l’image pour Barbès CaféEn fauteuil roulant, c’est avec émotion que Aziz Smati nous raconte son histoire. Une histoire à la fois douloureuse qui lui permettra, néanmoins, de vivre de sa passion. Cet Algérien a tout d’abord commencé sa carrière en tant que réalisateur des émissions à la télévision algérienne. Victime d’un attentat en 1994, le 14 février, il se retrouve handicapé. « Chez nous, la Saint-Valentin c’est avec le sang », nous confie-t-il. Le moment le plus dramatique de sa vie. C’est malheureusement cet épisode qui le fait venir en France, pour se faire soigner. Sorti de l’hôpital, avec des amis, il crée une association nommée « Bled connexion ». En tant que président de cette organisation, il chapeaute un spectacle sur le 10e anniversaire des évènements du 5 octobre 1988. « C’est comparable au Printemps arabe », nous fait-il savoir. « C’est là que j’ai rencontré Meziane Azaiche. C’est lui qui nous a loué le Cabaret sauvage qui venait à peine d’ouvrir ses portes », ajoute cet homme qui nous relate l’histoire de sa vie avec nostalgie. Son professionnalisme a semble-t-il marqué le directeur artistique de Barbès Café. Qui fait appelle à lui en tant qu’ingénieur de l’image. « J’ai visionné des kilomètres et des kilomètres de vidéos sur l’immigration algérienne en France. On va les incruster dans le spectacle musical ». Un projet qui a permis à Aziz Smati d’apprendre énormément sur l’histoire de l’Algérie, son propre pays. « Je suis satisfait. C’est un spectacle léger, avec de la musique. On a passé un bon moment (pour le concevoir, ndlr) ». |
Afrik.com : En fait, Barbès Café c’est aussi une sorte d’ode à la France, un appel du cœur ?
Meziane Azaiche : C’est aussi pour dire que cette culture n’appartient pas aux Algériens, c’est une culture française. Ces chansons sont créées en France, parlent de la France, c’est le patrimoine français. On veut absolument lui coller une étiquette de l’immigré et d’étranger. Ces chanteurs travaillent ici, sont crevés ici, ont fait toute leur vie ici. C’est le patrimoine français. Si on partage quelque chose avec les Français c’est ça, cette culture là, une culture française même si elle est créée par les Algériens.
Afrik.com : C’est aussi pour ces raisons que vous avez monté ce spectacle musical, pour sensibiliser les gens et faire changer les choses ?
Meziane Azaiche : On n’a pas la prétention de changer quoique ce soit. Ni de donner une éducation à qui que ce soit. Nous voulons juste partager, mettre les choses sur la table, sans aucune haine ni règlement de compte. Mais pour passer à autre chose, il faut absolument dire les choses qui nous dérangent, nous touchent, mettre toute notre merde sur un tapis, après on nettoie. On veut simplement partager les moments difficiles, justes, agréables par rapport à cette population qu’on utilise pour quelque chose à chaque fois qu’on a besoin d’elle. L’Islam par exemple, on en parle un peu moins aujourd’hui, mais il y a un an on en parlait vachement beaucoup parce qu’il y avait les élections, parce qu’il s’est passé quelque chose à Toulouse (l’affaire Mohamed Merah, ndlr). On en a marre. Tout ça c’est une manipulation, on dit stop !
Afrik.com : Est-ce que Barbès café est une sorte de devoir de mémoire qui ne dit pas son nom ?
Meziane Azaiche : On a travaillé avec des historiens. Il n’y a pas uniquement l’émotion, il a aussi des faits. On parle aussi des Français qui ont aidé les Algériens, les porteurs de valises comme on les appelle, qui ont financé l’Algérie pour faire sa guerre. Il y a de la tolérance dans notre spectacle. On la demande pour nous, mais on rend aussi hommage à des artistes juifs algériens. On chante leurs chansons. On chante la chanson d’un Juif algérien – au moment où les Juifs étaient recherchés par les Allemands – qui a été mis à l’abri par un imam algérien qui l’a caché dans la Grande mosquée et lui a fourni des papiers faisant de lui un musulman, pour qu’il ne soit pas assassiné. C’est quelque chose de fort quoi !
Afrik.com : Barbès Café est, donc, un appel à la réconciliation nationale et l’entente entre communautés ?
Meziane Azaiche : Un appel, un cri du cœur, si on veut. En tout cas, nous on le porte comme ça. On veut qu’il y ait de la paix. Ce qui n’empêche pas de dire la vérité, ce qui s’est réellement passé. Pour nos enfants, c’est bien qu’ils sachent ce qui s’est passé. Mais, avec cette vérité, ce n’est pas une raison de prendre un flingue pour tirer sur les autres.
Afrik.com : Donnez trois raisons aux électeurs d’Afrik.com d’aller voir Barbès Café ?
Meziane Azaiche : D’abord, il y a une très très bonne musique. Certes, on parle des moments difficiles et très douloureux, mais sur tous les morceaux, tout le monde danse dans la joie. Avec une légèreté extraordinaire, parce que tout le monde rit. C’est un spectacle généreux, de réconciliation, ce n’est pas un spectacle de règlement de compte. C’est encore un point positif. Pour les jeunes, c’est vachement important de savoir d’où viennent leurs parents, d’où ils viennent eux mêmes. Et c’est vachement important, de savoir que l’intégration c’est aussi se respecter soi même, ce n’est pas de renier sa culture pour s’assimiler. C’est un respect mutuel de la France, de sa culture d’origine et de la culture française. Comme a dit Sarkozy, la France soit on l’aime ou on la quitte. Moi, le jour où je n’aimerai plus la France, je n’attendrai pas qu’on me demande de la quitter, je le ferai de mon propre gré.