Pour ou contre la chicotte ?


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La chicotte est-elle un châtiment corporel ou une banale correction utile dans l’éducation de ses enfants ? Fait-elle partie de l’identité culturelle africaine ? Qu’en est-il de la chicotte aujourd’hui en Afrique et dans la diaspora ? Telles sont les questions auxquelles nos témoins ont bien voulu répondre lors d’un micro-trottoir.

Par Vitraulle Mboungou

La chicotte est définie généralement en Afrique comme un instrument servant à infliger des punitions corporelles aux enfants turbulents. Pour beaucoup d’Africains, ces « petites corrections » sont utiles dans l’éducation des enfants, à condition que cela reste exceptionnel. D’autres pensent que la chicotte n’est pas forcément nécessaire, qu’il existe d’autres moyens pour affirmer son autorité. Tous les enfants sont-ils égaux face à la chicotte ? Existe-t-il des disparités selon son âge, son statut dans la famille, son sexe ou son milieu social ? Quoi qu’il en soit, gare aux dérives de la chicotte ! Il peut arriver que cela bascule dans la maltraitance. Ainsi, des pays africains commencent à mettre le bémol concernant cette pratique, surtout dans les écoles.

 Francine, 28 ans, doctorante, d’origine togolaise

« La chicotte doit avant tout être éducative »


« Je ne suis pas du tout d’accord avec le terme de châtiment corporel pour désigner la chicotte parce qu’il me paraît complètement impropre. Il s’agit juste de petites corrections données avec n’importe quoi. Dans mon cas personnel, il s’agissait des chaussures mais c’était des punitions méritées. Ce n’est pas une expérience traumatisante pour moi, d’ailleurs je pense que pour une Africaine je n’ai pas été assez tapée étant donnée toutes les bêtises que j’ai pu faire. Finalement, je suis satisfaite de mon éducation. Je suis complètement pour la chicotte tant que ça ne devient pas justement un châtiment corporel et que c’est justifié dans le processus de l’éducation. Il faut que ça reste éducatif et exceptionnel, sinon ça ne sert à rien parce que soit la punition n’a plus aucun effet sur l’enfant, soit l’enfant intériorise tout ça et risque d’être traumatisé. Dans ces deux cas, la chicotte n’est plus bénéfique ».

 Mr Afognon, 47 ans, parachutiste des Forces armées béninoises, d’origine béninoise

« La chicotte est utile pour faire obtempérer les enfants récalcitrants »


« La chicotte, c’est une lanière utilisée pour éduquer, corriger les enfants, les obliger à obtempérer et obéir. J’utilise la chicotte quand l’enfant l’a mérité, ce n’est pas tous les jours. C’est surtout pour faire peur. Je m’explique : on utilise une première fois la chicotte sur l’enfant pour qu’il sache ce que c’est, et après on peut s’en servir pour le menacer. Les enfants d’aujourd’hui ont la tête dure, ils ne veulent pas comprendre. C’est la faute de la télé qui les a gâté ; ils essayent de faire ce qu’ils voient à la télé. C’est pour ça que l’internat me paraît une bonne idée. Ils y reçoivent une meilleure éducation parce qu’ils sont presque coupés de tout. Mais c’est pour les parents qui ont les moyens. Il est donc vital de garder la chicotte. Sans ça, l’éducation des enfants serait complètement faussée. Il faut que l’enfant comprenne qu’il va être chicotté s’il ne suit pas les règles. Mais présentement, ce n’est plus pareil, ça a changé parce que la chicotte a été supprimée à l’école. C’est interdit maintenant sauf à la maison, où les parents continuent à utiliser la chicotte.

 Fatimata, 47 ans, préparatrice de commande, d’origine burkinabé

« Tous égaux face à la chicotte »


« La chicotte est pour moi un instrument disciplinaire qui sert à se faire obéir facilement de ses enfants, pour avoir plus d’autorité. En ce qui me concerne, je n’ai pas d’objet précis, c’est tout ce que je trouve, ça peut-être n’importe quoi, une chaussure ou un chausson, peu importe. Je prends tout ce que je trouve à côté de moi. Souvent je ne vais pas jusqu’au bout, c’est juste pour faire peur. On doit chicotter dans un but éducatif, la chicotte doit donc rester exceptionnelle. Il faut toujours qu’il y ait une raison. Et mes enfants sont tous égaux face à la chicotte : garçon ou fille, aîné ou dernier, pas de favoritisme parce que la chicotte est une mesure disciplinaire pour tous les enfants. Mais, c’est vrai que les filles sont plus sages, et donc on a moins de soucis avec elles. Par contre, mon dernier me cause plus de soucis. Il fait plus de bêtises que ses aînés et j’ai moins d’autorité sur lui, pourtant j’applique la même méthode. Les enfants d’aujourd’hui sont de plus en plus durs. Je suis contre le principe d’envoyer un enfant turbulent au pays ou dans un internat pour le recadrer. Les parents doivent assumer leur responsabilité, on n’a pas à déléguer son pouvoir parental ».

 Mickaël, 21 ans, étudiant, d’origine congolaise

« Plus les parents sont vieux moins ils chicottent »


« Pour moi, la chicotte est un châtiment corporel mais sans tout le côté péjoratif du terme. Mes parents ne m’ont jamais chicotté, mais par contre mes frères et sœurs si. Je pense que j’ai bénéficié d’un certain favoritisme parce que j’étais le dernier de la famille. Avec les années, les parents changent, ils sont moins sévères. Ils utilisent moins la chicotte par manque d’énergie, ils se sentent plus fatigués et n’ont donc plus la force de recourir à ce type de méthode. Pour résumer, plus les parents sont vieux moins ils chicottent. Aujourd’hui, je pense que les parents chicottent moins parce qu’ils ont moins d’appréhension au niveau de l’éducation de leurs enfants. Les enfants maintenant sont plus précoces, ils parlent plus vite, et donc comprennent aussi plus vite ; ils savent très tôt ce qui est bien et pas bien. Je suis pour la chicotte à la maison mais contre à l’école. Mes enfants, je ne les chicotterais pas, je vais plutôt privilégier le dialogue, la discussion. ».

 Marchault, 44 ans, professeur au collège, d’origine béninoise

« Avec la chicotte, le jeune Africain comprend vite »


« La chicotte, c’est une planchette, un morceau de bois que j’utilise pour me faire obéir. Avec la chicotte, l’Africain comprend vite. C’est une sorte de remède qui permet de mettre les enfants au pas, par exemple quand ils ne veulent pas travailler. Avec ça, ils savent que s’ils ne travaillent pas, ça va chicotter. Ca reste exceptionnel parce que c’est interdit dans le règlement, mais on est obligé de l’utiliser parce que l’Africain a besoin de la chicotte. Personne ne dit rien que ce soit la direction de l’école ou les parents. Et puis avant de chicotter, je donne toujours au moins deux avertissements, au bout du troisième, l’enfant sait ce qui l’attend. C’est sûr qu’en Occident vous ne pouvez pas trop comprendre cette méthode, mais ici elle est indispensable dans l’éducation des enfants. Mes enfants aussi, quand ils commettent une faute, je n’hésite pas à les chicotter. Comme je vous l’ai dit, c’est le seul moyen pour qu’ils comprennent vite. C’est sûr qu’au moment de la chicotte, ils ne sont pas contents, mais une fois grands, ils doivent forcément nous remercier ».

 Joé, 25 ans, étudiant, d’origine centrafricaine

« La chicotte est utilisée de manière trop abusive à l’école »


« La chicotte, c’est un instrument qu’on utilise pour taper, corriger les enfants. Comme beaucoup d’enfants, j’ai eu droit à la chicotte, surtout à l’école. Souvent c’était le bâton du balai, une règle ou alors les pneus de voiture coupés en languettes. C’est pas dramatique, c’est éducatif à fond et avec le recul je me dis que ces coups je les ai mérité sauf pour ce qui est de l’école. En classe, c’était abusé parce que le maître donnait les coups parfois pour rien. C’était une question de savoir, de rapidité, quand il te posait une question. Il fallait répondre très vite, sinon gare à la chicotte. On n’avait pas le temps de la réflexion. Il te tapait devant tout le monde alors que tu n’avais même pas fait de bêtises. Mais parfois je me dis c’est pas plus mal comparé aux enfants « frenchies » que je peux croiser dans la rue et qui parlent trop mal à leur mère. En ce qui me concerne, je ne vais pas chicotter mes enfants plus tard. Si, peut-être des petites tapes, des fessées, mais sans plus. C’est dès la petite enfance qu’il faut montrer son autorité avec le jeu de regard. Tout se joue dans le regard au début. Il y a des regards qui te glacent le sang et qui sont pire que la chicotte. »

 Bérénice, 24 ans, étudiante, d’origine congolaise

« Souvent, ce sont les garçons qui se font chicotter »


« La chicotte, c’est un objet qu’on utilise pour faire du mal ou dresser, enfin corriger quelqu’un. Je n’ai pas été chicottée ni à l’école ni à la maison mais mon grand frère si. C’était il y a longtemps quand il était petit et c’était assez rare. Je ne sais pas pourquoi j’ai échappé à la chicotte. Les filles favorisées par rapport aux garçons ? Je ne me suis jamais vraiment posée la question, mais c’est possible parce que c’est vrai que souvent ce sont les garçons qui se font chicotter. Je suis pour et contre la chicotte. D’abord pour parce que parfois on est obligé de le faire pour certains enfants, mais quand même il ne faut pas le faire souvent, seulement dans certains cas. Et je suis contre à cause de la douleur, elle doit être insupportable. C’est possible que je chicotte mes enfants plus tard, si le besoin s’en fait sentir. »

 Akim, 23 ans, étudiant, d’origine béninoise

« La chicotte est synonyme d’échec »


« La chicotte pour moi, c’est le palmatoire, un espèce de fouet qui sert à frapper. La chicotte a fait partie de ma vie quotidienne, à l’école (internat), à la maison. C’est surtout à l’école que j’ai été le plus chicotté. C’était tout le temps ; ça pouvait tomber à tout moment dès lors que tu ne te tenais pas tranquille. A la fin, c’était devenu presque comme un jeux entre nous. Quand quelqu’un avait fait une bêtise, on savait qu’il allait y avoir droit, on se mettait à chanter (il se dandine de gauche à droite, ndlr) ‘la danse de la chicotte’ devant lui. La punition était souvent disproportionnée par rapport à la bêtise faite, ils étaient à plusieurs sur une personne. Ce n’était pas tout le temps les coups du palmatoire, ça pouvait aussi être le piquet. On devait rester immobile pendant plusieurs heures dans une position indiquée : la jambe droite au sol, l’autre en l’air derrière le dos tout comme le bras droit. Si on avait le malheur de bouger, on avait des coups de chicotte. Mais bon ça fait partie de la culture africaine, on l’accepte. Surtout que dans mon cas, ça m’a été utile. Avec le recul, je comprends qu’il me fallait ça sinon j’aurais sûrement mal tourné. Les maîtres ou les professeurs se sentent touts puissants parce qu’ils se savent soutenus par les parents qui les encouragent dans ce sens. Personnellement, je ne le ferais pas avec mes enfants parce qu’il y a d’autres moyens de faire valoir son autorité sans frapper. Pour moi, chicotter son enfant est un signe de faiblesse. Si on en arrive là, c’est que, quelque part, on a échoué dans son éducation ».

 Ibrahim, 17 ans, lycéen, d’origine burkinabé

« La chicotte est un châtiment corporel pour les enfants qui sortent du droit chemin »


« La chicotte est pour moi un châtiment corporel pour les enfants qui sortent du droit chemin ; elle est là pour les recadrer. C’est valable seulement quand on est petit, jusqu’à 8-10 ans par exemple. Après ça ne sert à rien parce que le cerveau de l’enfant est déjà développé, il est capable de faire la différence entre le bien et le mal. A partir de là, c’est mieux de passer par le dialogue, la discussion. Moi-même, j’ai été chicotté quand j’étais plus petit, c’était à la main ou avec des chaussons, mais c’était rare. C’était surtout des ‘criades’, des disputes. Plus tard, je ne chicotterais pas mes enfants sauf s’il y a vraiment des gros soucis. Sinon je pense gérer ça de façon à ne pas utiliser la chicotte. A la rigueur peut-être une gifle ou deux, mais je n’irais pas plus loin. Donc je dirais que je suis plutôt contre la chicotte en général, ou alors entre les deux ; c’est-à-dire oui pour une paire de gifle de temps en temps en cas de gros problème, et non parce que c’est toujours mieux de discuter. »

 Mame, 27 ans, écrivain, d’origine sénégalaise

« Parfois, l’élève provoquait le maître pour qu’il le tape »


« La chicotte, c’est la ceinture ou la languette faite à base de pneus. Je me souviens en particulier, une fois en classe pendant une dictée, le maître tapait avec cette languette chaque élève qui faisait une faute sur la dictée. Ça m’a marqué. Souvent, il l’utilisait pour punir les élèves perturbateurs. Après c’était devenu comme une sorte de jeux entre eux, l’élève provoquait le maître pour qu’il le tape et quand c’était le cas, il ne manifestait aucune réaction pour montrer à l’autre que ça n’avait aucun effet sur lui. C’est surtout à l’école primaire qu’on chicotte, à partir du collège la chicotte devient plus rare. A la maison aussi, j’ai été chicottée mais moins souvent qu’à l’école. Souvent, c’était justifié, c’était quand je faisais vraiment des bêtises. Par contre, mon petit frère, le dernier de la famille, a échappé à la chicotte sans doute parce que le dernier est toujours le plus gâté mais aussi à cause de l’âge des parents, qui s’adoucissent en vieillissant. Ils passent plus par le dialogue, la discussion. Je ne pense pas que je vais chicotter mes enfants plus tard, juste des petites gifles peut-être. Je suis plutôt contre la chicotte, mais bon en même temps, on l’accepte parce que ça fait partie de la culture africaine. On a tous plus ou moins été chicotté étant enfant, mais ce n’est pas pour autant qu’on en veut à nos parents, parce qu’on sait que c’était pour notre bien ; même si parfois ça va loin. »

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