Dans Le rêve algérien, Jean-Paul Lledo suit les retrouvailles de l’ancien journaliste français militant de l’Algérie indépendante, Henri Alleg, dans ses retrouvailles avec ses anciens compagnons de lutte. D’Alger à Annaba, en passant par Constantine et Oran, le voyage avec l’ancien directeur d’Alger Républicain est un vrai bonheur.
Pour son dernier documentaire, Le rêve algérien, le réalisateur Jean-Paul Lledo a demandé « à Henri Alleg de retourner en Algérie pour retrouver, 40 ans après, ses anciens compagnons ». Henri Alleg est l’ex-directeur du mythique quotidien « pro-Algérie libre » Alger Républicain, interrompu avant et après l’indépendance algérienne pour avoir ouvert ses colonnes aux tendances démocratiques du pays. Henri Alleg, également membre du Parti communiste algérien (PCA), a été parmi les premiers a dénoncer, pour l’avoir subie, la torture pratiquée par l’armée française dans La Question (1958). Ce voyage retour, Jean-Pierre Lledo déclare le lui avoir demandé « pour tenter de retrouver ce rêve d’une Algérie multiethnique qui [l]’a fait grandir ». Un rêve que le réalisateur, né d’une mère judéo-berbère et d’un père d’origine catalane, fait toujours, malgré son exil « forcé » en France depuis 1992.
L’objet du film reste les retrouvailles d’Henri Alleg avec ses illustres compagnons, tous plus formidables les uns que les autres. Le projectionniste du cinéma d’Annaba, qu’il ne lâche plus, ou encore le jardinier de Cherchell, quarante ans qu’il ne les avait pas vu. D’Alger à Annaba et de Constantine à Oran, en finissant par Cherchell, c’est un véritable bonheur que d’assister à ces rencontres. Les témoignages, émouvants de tristesse ou de drôlerie, s’enchaînent parfaitement sans jamais laisser place à l’ennui.
Rêves brisés
Henri Alleg, de son vrai nom Harry Salem, peut difficilement contenir ses sanglots lorsqu’il visite, à Alger, les lieux où ses amis et lui-même ont été emprisonnés et torturés. La villa Susini, la prison Barberousse … certains de ses amis y ont laissé leur vie. Tel le mathématicien Maurice Audin, membre du PCA, ou l’aspirant Henri Maillot, qui déserte l’armée française en volant un camion de munitions. L’ancien journaliste donne une idée de sa force de caractère, lorsqu’il avoue s’en être voulu d’avoir souhaité la mort de ses tortionnaires, alors même qu’il était torturé ! L’agent de liaison Eliette Loup est tout aussi formidable lorsqu’elle se dispute avec ses amis, qui veulent lui faire admettre qu’elle s’est sacrifiée, ou, tout du moins, qu’elle en a fait « plus » que d’autres pour l’Algérie. Il n’y a pas de « plus », s’énerve-t-elle. « Je n’ai fait que ce que j’avais à faire. »
Henri Alleg termine son voyage à Cherchell, auprès d’un ancien combattant qui a perdu ses trois frères durant la guerre. Bougon, il cultive son coin de jardin dans cette ville magnifique située à l’ouest d’Alger, et fustige les autorités pour avoir voulu être « plus royalistes que le roi » (comprendre plus intégristes que les intégristes). Ils ont rasé les vignes qui faisaient la richesse de la région, explique-t-il, et maintenant, ils dépensent de l’argent pour les replanter. Le Cherchellois se désole de voir les Algériens, pour échapper au chômage, vendre tout et n’importe quoi à tous les coins de rue. Il y aurait tant d’autres choses à faire. « Mes voisins m’ont même demandé pourquoi je n’ouvrais pas un commerce dans mon garage », s’amuse-t-il.
Le rêve algérien est comme un recueil de témoignages de personnes qui ont aimé et aiment l’Algérie. Il laisse entrevoir ce que ce beau pays aurait pu être si ceux qui se sont battus pour sa libération, de l’intérieur, avaient pu y occuper quelques fonctions.
Le rêve algérien, de Jean-Pierre Lledo (documentaire, 110 minutes)
Sortie française le 26 novembre 2003. Sortie algérienne en janvier 2004.