Le marché togolais du quartier d’Akodessewa (Lomé) est célèbre dans toute la sous-région pour le choix qu’il offre aux clients qui viennent chercher les prescriptions de sorciers. Les vendeurs se démènent pour satisfaire leurs demandes. Et pour ce faire, ils n’hésitent pas à enfreindre la loi pour se procurer ossements ou organes humains. Un marché mystérieux qui suscite la curiosité des natifs.
Les sorciers ont leur marché préféré. Le quartier togolais d’Akodessewa (à l’est de Lomé) abrite depuis la fin des années 90 le plus célèbre marché de fétiches de la sous-région. Un lieu qui inspire espoir, crainte ou curiosité. On y trouve tout ce dont les guérisseurs traditionnels et autres sorciers ont besoin pour préparer leurs décoctions. Tout, même des ossements humains, vendus dans le plus grand secret. La variété des articles proposés fait de ce marché le plus célèbre de la sous-région.
Atmosphère : une odeur de chair pourrie règne sous les hangars de fortune aux toits de tôle, où sont installés environ 90 vendeurs. Leurs étals sont pleins à craquer d’articles insolites. Et que de choix ! « On trouve : des statuettes, des écorces d’arbres, des bouteilles contenant mystérieuses poudres, des plumes de tout genre, des serpents éventrés, des peaux de reptiles, d’animaux sauvages ou de poissons, des ossements d’oiseaux, des crânes de chiens, de buffles, de phacochères, de crocodile », énumère Colombo, journaliste au Nouvel Echo de Lomé. Des articles provenant du territoire national, mais aussi des pays frontaliers. Ils sont d’ailleurs vendus par des commerçants togolais, mais aussi béninois ou ghanéens.
Voleurs d’os humains
Les clients viennent nombreux pour chercher ce qu’un guérisseur ou un sorcier leur a demandé pour soigner un mal, parvenir à leurs fins dans les domaines amoureux et professionnel ou encore réparer un offense. « Le ‘marché des têtes’ (surnommé ainsi en raison des crânes d’animaux que l’on peut y acheter, ndlr) fonctionne comme une pharmacie. Des sorciers ou des charlatans prescrivent ce dont ils ont besoin, comme des médecins le feraient. Souvent, les clients achètent la commande en tête à tête avec le commerçant et ressortent avec la prescription dissimulée », commente Colombo. Ces derniers déboursent d’ailleurs parfois des sommes astronomiques. D’après Faustin Woussou, journaliste à Nana FM, « les prix peuvent monter très vite et culminer à un million de FCFA selon la commande ». Dans de tels cas, les citoyens se démènent comme ils peuvent pour se procurer le montant fixé. De la même façon que les vendeurs se débrouillent pour accéder aux demandes de leurs clients. Mêmes lorsque celles-ci sont peu catholiques.
En ce qui concerne les peaux, plumes et ossements d’animaux, les commerçants se ravitaillent chez les chasseurs. Jusque là, rien de bien particulier. Le problème d’éthique intervient lorsqu’ils font appel à des fossoyeurs pour se procurer des os ou des organes humains. « Des gens sont spécialisés dans ce type de trafic, explique Kodjo, un Togolais de 24 ans qui vit à trois kilomètres du marché. Ils s’aventurent dans des cimetières et déterrent les corps de ceux qui n’ont pas de famille, des tombes sur lesquelles personne ne viendra se recueillir ». Des opérations macabres conduites à l’extérieur de Lomé, où les cimetières sont soumis à une surveillance moins soutenue. Certains pilleurs de tombes ont déjà été emprisonnés après avoir été surpris avec des ossements lors de contrôles. De quoi expliquer que les os humains ne soient pas exposés au grand jour sur les étals et que les vendeurs ne dévoilent pas facilement l’identité de leurs fournisseurs. La vente se fait toujours à l’abri des regards indiscrets.
Marché bête de foire
Un bien curieux endroit. Les badauds regardent en passant ce qui s’y passe. Les écoliers s’y rendent à l’occasion de sorties scolaires. Toutefois, mieux vaut être encadré d’une personne qui connaît bien les habitudes des vendeurs. « Il y a beaucoup de concurrence entre eux. Si vous êtes faible ou profane spirituellement, les commerçants peuvent tenter des opérations de magnétisme. Ils lancent très souvent des paroles ou des poudres pour que vous vous rendiez à leur stand. A tel point qu’avant de s’y rendre les futurs clients se rendent chez des marabouts. Ils leurs donnent une potion pour se prémunir de leurs effets et éviter les désagréments qui peuvent survenir, du type nausées ou maladies inexpliquées », commente Colombo. Les touristes sont aussi piqués de curiosité à la vue du marché d’Akodessewa. Bien que leurs achats ne se limitent la plupart du temps qu’aux statuettes.
Il y a quelques années, ce marché avait moins de visibilité. « Au départ, il était situé à l’intérieur de celui de Bè, un autre quartier de Lomé. Il était placé au milieu des autres étals et les touristes qui voulaient le visiter ne le trouvaient pas facilement. C’est pourquoi fin 1997, début 1998, nous avons décidé de le déplacer à Akodessewa. Cette initiative visait aussi à créer un marché bien spécifique pour les guérisseurs traditionnels », explique Félix Tidatoa, membre du comité de gestion des marchés de la mairie de Lomé. D’autres évoquent l’odeur désagréable qui émane des étals et qui tranchait avec la senteur des denrées alimentaires. Quoi qu’il en soit le marché d’Akodessewa a encore de beaux jours devant lui. Il devrait prochainement être rénové par la mairie de Lomé.