Les croyances en la sorcellerie sont toujours très ancrées en Afrique. La peur du sorcier, de la sorcière, de l’enfant sorcier, du mauvais sort, hantent encore de nombreux Africains. Cette peur reste enfouie chez certains, même lorsqu’ils quittent leur pays d’origine pour s’installer à l’étranger. Pour le psychanalyste Didier Mavinga Lake, originaire du Congo, il est temps que les Africains prennent leur destin en main. Il utilise la psychanalyse pour aider ses patients à se rendre compte par eux-mêmes que leurs croyances en la sorcellerie ne sont pas réelles.
Originaire du Congo, Didier Mavinga Lake est docteur en psychopathologie et psychanalyste au sein d’un groupe de recherche à l’école doctorale de recherche en psychanalyse de l’Université Paris 7. Il a également ouvert son propre cabinet à Paris où consultent des patients originaires de différents pays.
Afrik.com : En quoi consiste votre travail de psychanalyste lorsque des patients pensent être victimes de sorcellerie ?
Didier Mavinga Lake : Mon rôle est d’aider les patients qui pensent être victimes de sorcellerie à aller mieux et à être moins angoissés. Au moins 10% de mes patients sont des Africains. Je reçois des hommes, des femmes, des jeunes. La nouveauté, c’est que certains décident d’aller voir un psychanalyste plutôt qu’un marabout ou un pasteur. C’est une démarche nouvelle. J’aide parfois des familles à comprendre ce qui peut se jouer derrière leurs croyances. Une de mes patientes congolaises pensait que sa fille était une sorcière. Comme elle se réveillait toujours en retard pour aller à l’école, elle pensait qu’elle volait la nuit et qu’elle n’était pas revenue à temps au petit matin pour réintégrer son corps. La mère était persuadée que sa fille était la source de ses malheurs. Elle ne se rendait pas compte qu’elle était en réalité en dépression.
Afrik.com : Comment procédez-vous pour modifier la façon de penser de vos patients qui se croient victimes d’un sort ?
Didier Mavinga Lake : J’essaye de les conduire à remettre en question leur mode de pensée. Mon but est de leur permettre de se rendre compte par eux-mêmes que leurs croyances ne sont pas réelles. Mon objectif est de les sortir de cette peur du sorcier en les aidant à découvrir ce qui se cache derrière cette enveloppe culturelle. Le mécanisme psychique de l’Africain qui a peur des esprits ou de l’Européen qui a peur du chat noir est le même. C’est le même conflit. Et c’est ce que le psychanalyste traite. Mais c’est cette manière de procéder qui manque à l’Afrique. En Afrique, il n’y a qu’une seule lecture du problème, celle du pasteur et du marabout. C’est une lecture dangereuse car elle empêche l’homme africain, la femme africaine, ou encore le jeune africain de résonner en admettant que son oncle, sa tante, son cousin, ne sont pour rien dans les malheurs qui lui arrivent. L’Africain qui croit en la sorcellerie doit se dire objectivement, pour des raisons scientifiques qu’aucun individu n’a de pouvoir magique pour lui faire du mal.
Afrik.com : Quels sont les dangers de telles croyances ?
Didier Mavinga Lake : Ces croyances peuvent être très dangereuses en effet! Des individus accusés de sorcellerie ont perdu la vie! Il y a même des gens qu’on brûle. On leur met des pneus autour du corps, ensuite on les brûle parce que soi-disant ce sont des sorciers! De même, les enfants dits sorciers vivent un véritable calvaire! On leur fait subir des sévices corporels de toutes sortes pour les exorciser, en mettant leur vie en danger! Ces enfants sont pour la plupart abandonnés car leurs parents estiment qu’ils sont la source des malheurs de la famille. Ils se retrouvent le plus souvent dans la rue et livrés à eux-mêmes. Les enfants des rues en Afrique sont souvent des enfants dits sorciers, rejetés par leurs proches. La sorcellerie fait donc beaucoup de dégâts sociaux en Afrique! Il y a des familles qui ne se parlent plus car on considère que de l’autre côté on a lancé des sorts. Il faut modifier une fois pour toute ce mode de pensée.
Afrik.com : Aujourd’hui les Africains ont plus tendance à aller voir des pasteurs que des marabouts, notamment en Afrique centrale. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce phénomène ?
Didier Mavinga Lake : Il y a en effet un fait nouveau très intéressant. Les Africains vont de moins en moins voir le marabout. C’est surtout le cas en Afrique centrale car en Afrique de l’Ouest le marabout est encore très présent. En Afrique centrale, ce sont les pasteurs qui ont pris le relais. Cette situation est notamment très fréquente en République démocratique du Congo (RDC). On devient paresseux à partir du moment où l’on pense que c’est la faute de l’autre si on ne trouve pas de travail. Que si on ne progresse pas, c’est parce qu’on est victime d’un sort. Toutes ces pensées font des hommes et femmes qui subissent leur vie, au lieu d’hommes et femmes qui agissent! Moi je veux voir les Africains acteurs de leur vie! Or, avec toutes ces croyances, on a des Africains passifs qui subissent leur vie pour des lectures qui ne tiennent pas la route! Ils pensent qu’en allant voir le marabout ou le pasteur, leurs problèmes seront réglés. D’ailleurs, la démarche n’est pas la même lorsqu’on s’en remet au pasteur ou au marabout.
Afrik.com : En quoi aller voir le marabout ou le pasteur est différent, puisque la finalité est la même, la résolution des tracas du quotidien ?
Didier Mavinga Lake : De plus en plus de gens se rendent compte que le marabout peut tomber malade ou mourir. Tandis que, dans la souffrance au quotidien aller voir un pasteur ça fait du bien. La religion devient une réponse à la souffrance. Le pasteur vous rassure, vous promet le bonheur. Rien ne peut vous arriver. Dieu est amour. Dieu vous protège. Seulement, chez ces pasteurs, il y a beaucoup de dealers spirituels. Je vais même être plus précis, 98% de ces pasteurs sont des dealeurs spirituels. La plupart profite des populations pour s’enrichir. On quitte le marabout pour tomber sur quelqu’un qui s’autoproclame pasteur. En même temps, la nature a horreur du vide. Ces hommes et femmes sont livrés à la pauvreté et la misère. Leurs conditions de vie sont rudes. Et les pouvoirs publics ne font rien pour changer leur quotidien. Ils s’en remettent alors à ces pasteurs, espérant que tous leurs problèmes seront résolus.
Afrik.com : Pourquoi tant de personnes donnent de l’importance à ces croyances en Afrique ?
Didier Mavinga Lake : Chaque être humain affronte la vie différemment. Lorsqu’on croit en la sorcellerie, on est dans une forme d’érotisation de la pensée. L’être humain imagine des choses car la réalité est trop dure à accepter. C’est pour cela que certains donnent de l’importance aux esprits, à leurs pouvoirs… Se dire que l’autre n’y est pour rien et qu’il faut travailler pour s’en sortir n’est pas facile à admettre. En accusant l’autre d’être responsable de nos malheurs, on fait moins d’efforts pour s’en sortir. Mais un être humain avec un pouvoir de décider sur l’autre c’est impossible! Ca n’a pas de sens! C’est le mode de pensée d’un enfant de trois ans. C’est absurde! Vous connaissez quelqu’un qui s’est déjà dit être un sorcier ? On est sorcier seulement dans le discours de l’autre.
Afrik.com : Comment expliquez-vous qu’en 2012, les croyances en la sorcellerie soient encore si ancrées dans les sociétés africaines ?
Didier Mavinga Lake : Dans les sociétés occidentales, la science a pris le pas sur les croyances. En Afrique, c’est le contraire. C’est les croyances qui ont pris le pas sur la science. La croyance en la sorcellerie en Afrique n’est pas une question de catégorie socioprofessionnelle. Je vais vous donner un exemple. Un professeur de médecin à Kinshasa a découvert un jour qu’il avait du diabète. Mais il a dit à tout le monde qu’il était victime d’un mauvais sort. Quand un médecin pense que son diabète n’est pas lié à une mauvaise alimentation ou hygiène de vie mais à un mauvais sort, c’est grave! La croyance en la sorcellerie concerne tout le monde en Afrique, du paysan au président de la République. D’ailleurs, chaque président africain a son marabout. On détermine même certaines politiques en fonction de la sorcellerie.
Afrik.com : La croyance en la sorcellerie n’est donc pas un problème social. Quelle est l’origine du problème ?
Didier Mavinga Lake : Ce n’est pas un problème social mais psychique. Bien évidemment, tous les Africains ne croient pas en la sorcellerie mais cette croyance colore le quotidien! La sorcellerie est un frein au développement de l’Afrique. A cause de cette peur, l’Africain ne fonctionne qu’à 10% de ses moyens. Je suis d’accord qu’il faut construire des routes, créer des liens entre les Africains, mais l’Afrique a aussi besoin d’hommes et femmes qui soient vrais et pas d’hommes et femmes qui vivent dans la peur! La peur empêche d’être vrai. Le film Black mic mac illustre bien cette réalité. Voilà des étudiants africains en France prêts à se faire expulser. Ils sont allés voir un marabout qui leur a dit de prendre le cheveu du blanc qui souhaite les expulser afin de le mettre dans un gris-gris qui sera ensuite enterré. Ainsi, ils ne craignent rien, leur a promis le marabout. Voilà des étudiants qui, au lieu d’aller à la bibliothèque pour s’en sortir, vont plutôt consulter un marabout. Comment le continent peut progresser avec ce type de pensées ?
Afrik.com : Quelles sont les solutions que vous proposez pour que les Africains qui croient en la sorcellerie prennent leur destin en main ?
Didier Mavinga Lake : Il faut mettre en place une vrai politique de sensibilisation auprès des populations. Les médias, les pouvoirs publics, les écoles ont un grand rôle à jouer. Ce serait même très intéressant de faire des émissions de télévision ou de radio pour sensibiliser les populations et les inciter à prendre leur destin en main. Je pense qu’avec le temps, les choses se régleront d’elles-mêmes. Mais elles prendront beaucoup plus de temps si ce travail de sensibilisation n’est pas effectué pour que les populations cessent de croire en la sorcellerie. Il faut changer les mentalités. L’Afrique n’est pas en mouvement mais en chantier. En Afrique, si vous êtes ministre, toute votre famille l’est aussi. Elle aura les mêmes avantages que vous. Si votre frère est président d’une société, vous aussi pourrez emprunter sa voiture de fonction aisément. Il n’y a qu’en Afrique qu’on voit ça! On ne peut pas avancer de cette façon. L’Afrique ne peut pas continuer ainsi!
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