Dalenda Largeche : « Le mariage coutumier en Tunisie est une version halal de la liberté sexuelle des jeunes »


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Le mariage coutumier dit aussi « Orfi », interdit par la loi en Tunisie et illicite au regard du droit musulman, est de plus en plus pratiqué chez de jeunes étudiants issus des milieux défavorisés. Cette pratique leur permet de s’unir en toute discrétion avec juste deux témoins sans que leurs familles en soient avisées. Pour Dalenda Larguèche, Historienne et Directrice Générale du Centre de recherche d’études, de documentation et d’information sur la femme (Credif), ces jeunes peuvent ainsi entamer leurs rapports sexuels en se donnant bonne conscience devant Dieu. Mais selon elle, ce contrat est illégal et ne présente donc aucune garantie pour la femme. La chercheuse livre son analyse à Afrik.com.

Afrik.com : Les Tunisiens parlent beaucoup du mariage coutumier en ce moment. Pouvez-vous nous dire en quoi il consiste exactement ?

Dalenda Largueche :
Le mariage coutumier ou orfi est un contrat consensuel proclamé dans le plus grand secret sans la présence de la famille ni de l’officier de l’état civil ou de notaires, seul deux témoins y assistent. Le Orfi est formellement interdit par la loi et notamment par le droit musulman car il ne remplit pas toutes les conditions du mariage. Dans le droit musulman, le mariage doit faire l’objet de la publicité qui est la preuve de l’union qui est consignée dans un contrat. C’est donc une pratique illégale qui n’a aucune valeur sur le plan juridique. Même si le Orfi est une vieille pratique dans la société tunisienne traditionnelle, le orfi d’aujourd’hui est bien différent car il ne remplit pas les mêmes conditions. Le orfi traditionnel était une pratique répandue dans le monde rural où le mariage était contracté verbalement mais en présence de la famille et de témoins de confiance pour témoigner de l’union et de ses conséquences. Alors que dans les villes le lien matrimonial contracté devant deux notaires et deux témoins est consigné par un contrat écrit où les femmes peuvent même imposer leurs conditions aux époux.

Afrik.com : Comment se passe concrètement la cérémonie du Orfi ? Se fait-elle en présence d’un imam ?

Dalenda Larguèche :
Il n’est nullement question de cérémonie, ou de notaires puisqu’il ne répond pas aux dispositions prises dans le cadre du Code du Statut Personnel institué depuis 1956; ni aux conditions exigées par le droit musulman. Ce pseudo contrat ne repose que sur la lecture de la Fatiha et la présence de deux témoins, qui sont en général des amis des personnes concernées par l’union. Ce sont de jeunes frères religieux qui unissent les soi-disant époux. Ces derniers n’en parlent pas au sein de leurs familles qui sont loin d’être gagnées à cette forme d’union. Partant du fait qu’il soit illicite du point de vue de la charia, le mariage orfi ne peut être défendu par les courants islamistes.

Afrik.com : Pourquoi ces jeunes s’intéressent autant à cette pratique ?

Dalenda Largueche :
Les observations nous laissent croire que les jeunes ou étudiants qui s’y intéressent sont généralement issues de milieux conservateurs, généralement modestes; ils se cachent derrière le voile religieux pour pouvoir entamer leurs rapports sexuels en dehors du lien du mariage réel et légal. C’est une version « Halal » de la liberté sexuelle que ces jeunes pratiquent avec la lecture de la Fatiha, ils se donnent une bonne conscience devant Dieu alors que d‘autres jeunes de milieux modernes assument leur liberté sexuelle.

Afrik.com : Le orfi ne nécessite pas de moyens financiers contrairement au mariage reconnu en Tunisie. Est-ce que certains jeunes ne se réfugient pas derrière ce contrat pour ne pas avoir à dépenser beaucoup d’argent ?

Dalenda Larguèche :
C’est aussi une réalité. Il est vrai que le mariage, surtout tel que le veut la manière tunisienne, est aujourd’hui très couteux avec tout ce que vit la société comme difficultés économiques. Mais le problème du mariage Orfi est ailleurs. Ce sont les femmes qui payent les pots cassés des abus de cette union. Il s’agit d’un dépassement de la loi aux dépens de la femme. C’est vraiment une régression par rapport aux droits dont disposent les Tunisiennes depuis 1956, dès l’aube de l’indépendance du pays ! Il est inquiétant pour la Tunisie que de jeunes femmes acceptent ce type de contrat ! Avec le nouveau contexte que connait le pays depuis la révolution, certains courants religieux qui prônent le retour à la charia peuvent se baser sur le recours d’une frange minime de la société à cette pratique pour remettre en cause le Code du Statut Personnel et de légaliser la polygamie et saper les droits des Tunisiennes. C’est bien là le véritable danger, surtout que le mariage orfi n’est pas seulement pratiqué par les jeunes, même s’il reste plus répandu dans cette catégorie sociale. En effet, des cas de ce mariage pratiqué par de moins jeunes se révèlent de jour en jour. Là, c’est plutôt des cas de bigamie ! L’époux est déjà marié et il prend « une deuxième épouse » par la pratique du orfi ! C’est la manière « halal » pour contourner la loi qui interdit la polygamie dans le pays.

Afrik.com : Est ce que le orfi peut finalement aboutir à un « vrai mariage musulman » ?

Dalenda Larguèche :
Comme toute relation amoureuse entre deux, elle peut aboutir à un vrai mariage. Mais là-encore faut-il que les hommes respectent leurs engagements. Ce qui est loin d’être toujours le cas, surtout que les jeunes femmes ne disposent d’aucun moyen juridique pour les y contraindre. Beaucoup de jeunes filles se retrouvent abandonnées par ces soi-disant époux. Certaines tombent enceintes et se font avorter. Je le redis encore une fois, les femmes sont celles qui souffrent le plus des conséquences néfastes de ce mariage imaginaire où tous leurs droits sont bafoués. La question qui m’inquiète : comment des femmes tunisiennes, après plus de 60 ans de droits en leur faveur, peuvent-elles accepter d’être entrainées dans un tel rapport de soumission sans la moindre garantie ?

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