Afrique : oser une démocratie épousant les spécificités culturelles


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Carte d'Afrique

L’Afrique est entrée dans la démocratie par la porte de l’Occident. On voit le résultat mitigé. D’évidence, dans une culture du consensus il est bien difficile d’introduire le choix à la majorité des voix, de même que la force de la communauté en Afrique est plus importante que l’individualisme à l’occidental. Ces contradictions culturelles gênantes sont sources d’instabilité.

Dans son article, George Ayittey, lance un véritable plaidoyer pour une refonte du modèle démocratique en Afrique. Il propose de construire un modèle reposant sur les réalités culturelles et sur la réalité du pouvoir sur le continent. Il ose proposer une démocratie autrement !

La démocratie représentative et multipartite à l’occidentale est possible, mais malheureusement, difficile à implémenter en Afrique. Compte tenu de ses spécificités, quelle démocratie pourrait convenir au continent ?

Majorité versus consensus

Fondamentalement, il existe deux formes de démocratie : Soit les décisions sont prises à la majorité des voix, selon le modèle occidental. Cette forme a l’avantage d’être transparente, rapide et efficace, mais son inconvénient est qu’elle ignore les opinions minoritaires. Soit, une autre alternative serait de prendre les décisions par consensus. Cette formule présente l’avantage de prendre en compte toutes les positions minoritaires. Cependant, l’inconvénient est que cette seconde forme peut prendre énormément de temps pour parvenir à un consensus si le nombre de personnes impliquées est élevé et surtout hétérogène. Notons cependant que le Comité Nobel de la paix et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prennent leurs décisions par consensus. Il en va de même de nombreuses sociétés africaines traditionnelles. Le simple fait qu’un groupe ne prenne pas ses décisions en votant ne signifie pas pour autant qu’il ne comprend pas l’essence de la démocratie.

Les spécificités en Afrique

Au début des années 90, après l’effondrement de l’ex-Union soviétique, le vent du changement pour la démocratie a soufflé sur l’Afrique, renversant des autocrates de longue date. Dans notre hâte de démocratiser, et aussi pour remplir les conditionnalités de l’aide occidentale, nous avons copié et adopté la forme de démocratie occidentale et avons négligé de bâtir un modèle à nous, sur notre propre tradition démocratique.

Le modèle occidental a permis à un dirigeant africain élu d’utiliser le pouvoir et l’appareil d’Etat pour faire avancer les intérêts économiques de son groupe ethnique et exclure tous les autres: comme Kenyatta au Kenya avec les Gikuyu, Moi au Kenya avec les Kalenjin, Biya au Cameroun avec les Beti, Eyadema au Togo avec les Kabye, pour n’en nommer que quelques-uns. Dès lors, il n’est pas étonnant que presque toutes les guerres civiles en Afrique aient été déclenchées par des groupes marginalisés ou exclus du « gâteau ».

Au niveau de certains villages africains, le chef est choisi par la reine mère de la famille royale pour régner à vie. Sa nomination doit être ratifiée par le Conseil des anciens, composé des chefs de familles élargies du village. En matière de gouvernance, le chef doit se concerter avec les membres du Conseil sur toutes les questions importantes. Sans ce conseil, le chef est impuissant. Si le chef et le conseil ne peuvent pas prendre une décision unanimement sur une question importante, une réunion de village est convoquée et la question est soumise à la population, qui en débattra jusqu’à ce qu’elle parvienne à un consensus. Les assemblées villageoises existent parmi diverses tribus africaines, notamment les Ashanti du Ghana, les Igbo du Nigéria, les Somaliens, les Tswana du Botswana, les Shona du Zimbabwe, les Xhosa et les Zoulous d’Afrique du Sud. Si le chef est «mauvais», il peut être rappelé par la reine mère, révoqué par le Conseil des anciens ou abandonné par le peuple.

Quelle démocratie en Afrique ?

Traditionnellement, les rois africains n’avaient aucune fonction politique. Leur rôle était spirituel ou surnaturel, celui de jouer le médiateur entre les forces cosmologiques: le ciel, la terre et le monde, chacune d’elles étant représentée par un dieu. Le rôle du roi est de concilier ces dieux et de maintenir l’harmonie entre eux. Si le dieu du ciel est «en colère», il y aura du tonnerre, de fortes averses, des inondations, etc. Cela voudrait dire que le roi n’a pas rempli sa fonction et qu’il a perdu la tête.

Les Africains auraient pu s’appuyer sur ce système. En Occident, l’unité économique et sociale de base est l’individu ; en Afrique, c’est la famille élargie ou la communauté. L’Américain dit: « Je suis parce que je suis ». L’Africain dit: « Je suis parce que nous sommes ». Le « nous » désigne la communauté. Alors, laissez chaque groupe choisir ses chefs et les placer dans une assemblée nationale. Ensuite, laissez chaque province ou État choisir ses dirigeants et les placer dans un conseil national. Choisissez le président de ce conseil national et évitez les énormes dépenses électorales liées à la démocratie à l’occidentale. Ces ressources peuvent être mieux utilisées pour le développement des pays africains pauvres. Enfin, laissez le président et le Conseil national prendre leurs décisions par consensus. En cas d’impasse, renvoyez la question à l’Assemblée nationale. Ce type de démocratie est conforme à notre propre héritage africain.

Par George Ayittey, économiste ghanéen, auteur et président de la Free Africa Foundation à Washington DC, professeur à l’Université américaine et chercheur associé à l’Institut de recherche sur les politiques étrangères

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